Je dois avouer ne pas être une grande lectrice de romans
noirs. Peut-être est-ce pour cela que je suis tombée des nues à la fin de La
Longue Nuit de Francisco Sanctis. Mais non, l’intrigue est quand même rudement
bien ficelée et je suis sure qu’elle désarçonnerait le plus féru des lecteurs
de romans policiers. Humberto Costantini (1924–1987) est un écrivain argentin
de Buenos Aires qui a lutté contre les dictatures militaires dans son pays.
Persécuté par les autorités, il dut s’exiler au Mexique, avant de pouvoir
revenir en 1983 lors du printemps démocratique. Le roman fut édité en 1984 et
est probablement inspiré de faits vécus. Il est publié en France par la maison
d’édition marseillaise L’atinoir, spécialisée dans la publication de
littérature latino-américaine.
L’histoire se passe pendant les pires heures du terrorisme
d’État en Argentine, un an après la prise de pouvoir de la junte militaire.
Francisco Sanctis est un employé respecté dans l’entreprise pour laquelle il
travaille. À 40 ans, il a enfin trouvé un équilibre, heureux dans sa vie de
famille, passionné par la musique classique. S’il fut militant pendant ses
années d’étude, il estime désormais avoir passé l’âge d’en découdre avec les
autorités. Comme beaucoup, il sait que des gens sont enlevés par les militaires
et qu’ils disparaissent ensuite. Mais à force d’arrangements avec sa
conscience, il est parvenu à maintenir cette réalité éloignée. Jusqu’à ce
qu’elle surgisse en cet après-midi du 14 novembre 1977, brutale, urgente,
intransigeante… Une ancienne connaissance lui transmet les noms de deux
militants qui seront enlevés dans la nuit si personne ne les avertit. Un cas de
conscience se pose alors à Francisco Sanctis, un terrible dilemme traduisible
en ces termes : doit-il agir ou peut-il encore oublier ce qu’il vient
d’entendre ?
Ce roman est une plongée dans une terrible réalité politique
et historique. Humberto Costantini questionne chacun d’entre nous sur les
notions de fraternité, de justice et d’humanité. Il explore également la
conscience d’un homme face au danger : les sentiments contradictoires qui
l’animent, confronté à la nécessité d’agir : le doute, la peur, la
solitude, et l’impression de faire face à son destin. Un petit bémol à mon
enthousiasme, cependant, concerne la présence un peu envahissante du narrateur,
qui ralentit le déroulement de l’intrigue et rend le texte redondant parfois,
surtout dans la première partie, ensuite le rythme est plus enlevé. Je ne dirai
rien non plus des personnages féminins tous assez archétypaux… oups, c’est
dit ! Mais la fin du roman m’a fait oublier ces petits cailloux dans ma
chaussure. Elle révèle une vision profonde et spirituelle de ce qu’est
l’engagement. Ce roman fut une dénonciation à son époque, il est maintenant
pour nous un témoignage de ce que charrie une dictature de cruauté et
d’inhumanité. Il vous plongera dans un abîme de réflexion.
J’ai acheté ce livre à la source, c’est-à-dire à la
Librairie L’Atinoir en haut de la Canebière, où l’éditeur Jacques Aubergy
travaille à la traduction de ses livres tout en conseillant très
sympathiquement ses clients. Quand j’y suis passée, il m’a présenté le roman
d’Humberto Costantini comme étant le plus représentatif de sa ligne éditoriale.
En ce qui concerne la traduction française de l’œuvre d’Humberto Costantini, un
seul autre titre est disponible, édité par L’Harmattan : Dieux, petits
hommes et policiers (papier/PDF). Les deux éditeurs sont largement diffusés à
un niveau national, demandez à votre libraire de vous aiguiller ! Bonne
lecture !