Une p’tite note invitée de Mathilda Mars sur le roman Disgrâce de l’écrivain sud-africain J.M. Coetzee. Merci à elle pour cette contribution !
Il y a des auteurs vers lesquels on ne va pas facilement.
Pour ma part, il m’a fallu 32 ans avant de lire Paul Auster. J’étais persuadée
que c’était ennuyeux et très élitiste. Mais j’ai été agréablement surprise en
lisant Léviathan tout
d’abord, puis Brooklyn Folies et Tombouctou.
Alors quand je suis tombée sur un livre intitulé Here and now, letters 2008-2011 by
Paul Auster and J.M. Coetzee dans la superbe librairie new-yorkaise Strand, lors de mes
vacances américaines, je me suis réjouie ! Il s’agit des lettres échangées
entre les deux auteurs durant trois ans. J’ai commencé à le lire, mais quelque
chose me tracassait : je ne connaissais J.M. Coetzee que de nom. Ça me
posait un problème de lire son courrier, en quelque sorte, sans avoir rien lu
de lui auparavant !
Alors, trouvez-moi psychorigide si vous voulez, mais je me
suis arrêtée de lire mon beau bouquin new-yorkais et je me suis mise en quête
d’un roman de Coetzee. Sur les conseils du très aimable libraire de la librairie Greenwich de Rennes,
j’ai commencé à lire Disgrâce.
Disgrâce se
passe en Afrique du Sud, après la fin de l’apartheid. Le personnage principal,
David Lurie est professeur à l’université du Cape. Un péché d’orgueil le fait
s’engager dans une relation avec une de ses étudiantes. Le consentement de
l’étudiante étant loin d’être évident, David Lurie est accusé de harcèlement
sexuel. Il connaît la disgrâce d’être renvoyé de l’université, condamné pour
avoir abusé de sa position de professeur. Il part alors rejoindre sa fille
Lucy, propriétaire d’une petite ferme, à 900 kilomètres du Cape. Une certaine
routine semble s’installer dans la cohabitation père-fille. Mais un évènement
tragique survient et fait littéralement exploser les repères des deux
personnages principaux.
Beaucoup de choses m’ont impressionnée dans ce roman, qui
m’a particulièrement plu. Tout d’abord, Coetzee transcrit de manière épatante
l’ambiance qui règne sur la propriété de Lucy. On sent toute la tension qui
pèse sur la situation (la scène de l’incident, raconté du point de vue du père,
est captivante). On sent que le passé est autant palpable que le présent. Les
personnages de Lucy et de David rappellent plusieurs fois dans le roman que
l’apartheid n’est plus en vigueur et que les choses ont changé. Mais de ce
constat, ils ne tirent pas les mêmes conclusions et peinent à se comprendre. Il
y a notamment un moment où David dit à sa fille : « Tu veux faire
acte d’humilité devant l’histoire. Mais tu fais fausse route. » Et c’est
exactement la sensation que l’on a en lisant ce roman. Il y a, en quelque
sorte, un personnage omniprésent dans le récit, l’Histoire.
L’évolution du personnage de David est remarquable. Il perd
rapidement le côté antipathique qu’il avait au début de l’histoire et devient
touchant, car impuissant à faire changer la situation. Il est poussé dans ses
retranchements et contraint d’accepter les choix de sa fille, sans les
comprendre. Il ne peut que constater qu’un fossé se creuse entre eux.
Il n’est pas évident de partager mon enthousiasme sans
révéler les moments clés de l’histoire, mais je vous recommande vivement
ce roman. Quant à moi, je peux maintenant reprendre mes lectures
épistolaires ! Bon été et bonne lecture à tous !