L’envie de lire Truismes de
Marie Darrieussecq m’est venue en parcourant dans Les Inrocks une interview de
Paul Otchakovsky-Laurens (éditions POL).
Il y déclarait qu’en publiant le premier livre de l’auteur en 1996, il n’avait
pas soupçonné « l’espèce d’incendie que ça allait déclencher ». Pour
ma part, ce titre en –isme, dont je n’avais pas deviné le double sens, m’a
longtemps fait craindre un propos trop intellectuel. J’ai été détrompée par ma
lecture, mais Truismes n’en
demeure pas moins un objet littéraire déconcertant.
Truismes raconte
en effet l’histoire d’une femme, en tout point soumise à son existence : à
sa mère, à son employeur et à l’homme qu’elle fréquente. Mais une
transformation est à l’œuvre en elle… Petit à petit les formes de son corps
deviennent celles d’une truie. Dans la parfumerie où elle dispense des
« massages spéciaux », la métamorphose n’est pas faite pour déplaire
à ses clients. Mais son apparence finit par repousser tout le monde et la
narratrice se retrouve à tenter de survivre successivement dans un square, les
égouts, un asile ou une des prisons du régime autoritaire des Nouveaux Citoyens.
Car Truismes est
une sorte de roman d’anticipation à sa manière, l’action se situe dans un monde
frappé par des famines, des guerres, et une Épidémie dont on comprend qu’il
s’agit d’une généralisation du phénomène de métamorphose animale. Les gendarmes
tuent les sans-abris, toute personne non blanche est expulsée du pays, les
gouvernants sont des fous reconvertis en politique… La narratrice, brave fille
malmenée, évolue au milieu de ce capharnaüm absurde et inhumain, sans le
comprendre mais en essayant malgré tout de tirer son épingle du jeu, et en accédant
finalement à une sorte d’émancipation (accès au plaisir sexuel, puis à l’amour)
et de liberté (acceptation de son corps de truie).
Avec Truismes,
Marie Darrieussecq a fait de la littérature, c’est-à-dire qu’elle a inventé
une langue pour incarner la voix et les pensées de la narratrice, dans toute
leur incongruité. Une langue pleine d’euphémismes et d’ironie cruelle :
« Je n’ai pas regretté le petit chien quand Honoré l’a jeté par la
fenêtre, seulement les sous qu’il m’a coûté. (…) J’ai compris que décidément
notre couple battait de l’aile ». C’est le personnage de la femme-truie
qui fait le récit de sa propre histoire, si bien que le lecteur est dans l’inconfortable
position de la réception d’un texte sans retour critique de la part du
narrateur. Pas de narrateur qui statue sur la moralité des actes et des
paroles... Un texte dérangeant donc, mais aussi souvent d’un lyrisme et d’une
poésie magnifiques : « Le soleil de l’aube m’a caressé le groin. J’ai
humé le passage de la Lune qui tombe de l’autre côté de la Terre, ça a fait du
vent dans la nuit et comme une odeur de sable froid. » Une plénitude
poétique que la femme-truie atteindra finalement grâce à l’exercice de
l’écriture…