Merci à Marius Escartefigue pour cette nouvelle contribution à propos du livre de photographies Marseille de nos pères paru aux éditions Le Rouergue en octobre de cette année.
À l’occasion de l’exposition du MUCEM, « Un moment si
doux », le célèbre photographe et réalisateur Raymond Depardon a estimé
que Marseille « est sans doute la ville la plus photogénique de
France ».[1]
Il est impossible de savoir si le photographe de presse Jean
Ribière l’aurait, ou non, approuvé, mais il est certain qu’il consacra à la
ville de nombreuses photographies à partir de 1942 dont un florilège est
proposé dans le présent ouvrage. Né à Niort en 1922, il commence sa carrière au
service photo du quotidien de Perpignan, L’Indépendant des Pyrénées
orientales – aujourd’hui L’Indépendant - en 1940. Avec son
épouse, journaliste, ils créent après-guerre une agence de presse
« Ribière Presse Photos » qui vend leurs reportages à de nombreux
journaux et magazines français et étrangers. Souvent consacrés durant les
années 1950 à la vie quotidienne dans les départements français, aux
traditions, à la vie rurale et aux petits métiers, leurs reportages sont aussi
consacrés aux sports et à la chronique judiciaire, puis dans les années 1970
aux régions françaises. Décédé en 1989, Jean Ribière confie la gestion de ses
archives concernant les régions françaises à sa fille, Hélène Tabes.
Le choix de photos sur Marseille de Jean Ribière réalisé par
Hélène Tabes et commenté par la journaliste Sylvie Ariès couvre plus de trois
décennies d’images recueillies dans la ville durant une période charnière de
son histoire. Divisé en neuf chapitres, de « Avant la tempête » pour
commencer à « La maison du fada » pour terminer, chacun d’entre eux
est précédé d’un court texte de présentation suivi d’un choix variable de
photos (entre une petite dizaine, au minimum, et une vingtaine, au maximum),
chacune d’entre elles étant accompagnée de quelques lignes de commentaires.
Malheureusement, aucune image n’est datée, même approximativement, et l’on ne
sait rien du contexte dans laquelle elle a été prise.
Les premières photos évoquent le Marseille de 1942, avant la
destruction des quartiers de la rive nord du Vieux-Port, mais la plupart des
images évoquent des vues, belles mais convenues, de la ville que l’on pourrait
revoir aujourd’hui quasiment à l’identique – le Vieux-Port avec Notre-Dame de
la Garde en arrière-plan, l’île Degaby vue de la Corniche, le Palais Longchamp,
les villas de la Corniche, etc. Seule une photo du port laisse apercevoir le
Pont Transbordeur en arrière-plan, comme un simple élément de décor ou une
vague ligne d’horizon ; on est loin des photos de Moholy-Nagy, Germaine
Krull[2] ou Man
Ray… Le chapitre suivant évoque la Libération grâce, notamment, à une photo de
jeep tournant à l’angle du Cours Belsunce et de la Canebière, un poteau portant
la mention « No left turn », puis à deux photos d’immeubles en
ruines, sans qu’on sache où ils se trouvent ni de quoi il s’agit. Est-ce le
résultat de la destruction des quartiers du Vieux-Port par les nazis ou du
bombardement américain du 27 mai 1944 ? Un photographe visitant Marseille
durant ces années ne pouvait-il pas aller photographier à deux pas de là,
l’immense champ de ruines de ces quartiers détruits où ne subsistait plus que
deux ou trois immeubles conservés pour leur « valeur historique » :
l’Hôtel de Ville, la Maison diamantée et l’Hôtel de Cabre. Pour évoquer les
« trente glorieuses », on y revoit, curieusement, d’autres photos de
Notre-Dame de la Garde, du Palais Longchamp, de la cathédrale de la Major –
trois monuments datant du XIXe siècle - et non celles des immenses, et
calamiteuses, transformations urbanistiques qu’a connues la ville durant ces
années. Viennent ensuite les inévitables calanques, les foires aux santons, le
port industriel à la Joliette, la ville la nuit, les petits métiers. Le dernier
chapitre propose un très beau choix de clichés de la « cité
radieuse », l’immeuble construit par Le Corbusier.
Si certaines de ces photos en noir et blanc sont
esthétiquement réussies, il est dommage que cet ouvrage reste dans le registre
du cliché, du folklore, de la couleur locale, de la nostalgie, au détriment
d’une véritable histoire sociale de la ville illustrée par la photographie de
presse.
Marius Escartefigue