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Matin brun, Franck Pavloff

J’ai relu Matin brun de Franck Pavloff il y a quelques jours et il m’a fait une impression beaucoup plus forte que lors de ma première lecture il y a une quinzaine d’années. Est-ce parce qu’il fait écho aux tragiques attentats de ce début d’année ? Sûrement. Mais de quelle manière ? 

Franck Pavloff présentant Matin Brun à Marseille

Jusqu'ici tout va bien, chacun dans son coin  

Au début de ce très court texte, le narrateur apprend de son vieil ami Charlie qu’il a dû faire piquer son chien, non en raison d’une maladie qui l’aurait condamné, mais tout simplement à cause de sa couleur : il n’était pas brun. Or, le pouvoir en place a décrété qu’il était désormais interdit de posséder un chat ou un chien d’une autre couleur. Bientôt, c’est le journal local qui est interdit pour avoir contesté la décision de « l’État national ». Puis, c’est le tour des maisons d’édition d’être inquiétées. Les deux compères, naïfs et individualistes à l’excès, observent ces événements avec indifférence : « Faut pas pousser, disait Charlie, tu comprends, la nation n’a rien à y gagner à accepter qu’on détourne la loi, et à jouer au chien et à la souris. » Mais un jour, Charlie disparaît, arrêté et condamné par la milice. 

Une fable politique

Dans cette fable politique, l’arbitraire a fini par s’étendre partout à cause du silence des personnages au début des décisions prises par l’État national. Ce que Franck Pavloff dénonce, c’est l’absence de responsabilité individuelle et surtout ce confort et cette paresse intellectuelle. En fait, rester vigilant serait la première résistance. Le brun est la métaphore de la pensée unique, forcément violente dans son refus d’accepter que d’autres évoluent autour d’elle et dialoguent avec elle. Une pensée unique dangereuse et arbitraire dans cette contre-utopie de Pavloff où un citoyen innocent disparaît ; dangereuse et arbitraire quand elle génère le massacre de la rédaction de Charlie Hebdo ou les tueries de Montrouge et de la porte de Vincennes ; dangereuse et arbitraire lorsqu’elle s’exprime insidieusement à Fréjus où la mairie FN a choisi de supprimer l’abonnement au journal Libération à la médiathèque municipale. 

Une réédition avec C215

Publié en 1999 par la maison d’édition Cheyne, Matin Brun vient d’être rééditée par Albin Michel dans une belle édition illustrée par le street-artiste C215. En rencontre samedi dernier à L’atinoir, Franck Pavloff a expliqué avoir demandé à l’artiste des regards à insérer entre les pages. Tout simplement. Des regards humains qui interpellent. Un peu plus tard dans la rencontre, questionné par Pascal Jourdana sur le thème de la filiation dans son dernier roman (L’Enfant des marges), il a expliqué : « ce que transmet un père à son fils, c’est un regard. » Et je pense à cette phrase lue sur les murs de mon quartier quelques jours après les attentats : « Porte sur le monde un regard sans haine. »