Ce sont les éditions du Sous-sol,
spécialisées dans le journalisme narratif, qui ont traduit pour la
France ce livre passionnant de non-fiction de l'Américain David
Samuels.
Enquête sur « l’imposteur de l’Ivy League »
Avec Mentir à
perdre haleine, David Samuels nous livre une enquête passionnante
sur celui qu'on surnomma « l'imposteur de l'Ivy League », James
Hogue, qui à près de 30 ans se créa une identité fictive afin d'intégrer
l'université de Princetown sous les traits d'un jeune homme de 18 ans
d'origine mexicaine et autodidacte. En interrogeant un grand nombre de
personnes l'ayant côtoyé, David Samuels reconstitue son parcours et tente de
comprendre quelles furent ses motivations.
Portrait d’un sociopathe
De ce portrait en creux émerge la figure inquiétante et
pathétique d'un sociopathe, menteur invétéré et voleur compulsif. La
fascination qu'exerce sur nous un tel personnage, comme dans L'Imposteur de
Javier Cercas, procède de notre incrédulité face à l'ampleur du mensonge.
David Samuels nous explique : l'imposteur manipule son entourage en lui servant
de belles histoires correspondant à ce qui rassure et fait rêver tout un
chacun. Il est dépourvu de culpabilité et n'éprouve pas de regrets pour ses
méfaits ; pour lui les concepts de bien et de mal sont inopérants....
Absolument accablant, donc. Mais si Mentir
à perdre haleine n'avait été qu'une dénonciation, l'intérêt du livre
aurait été limité.
Un personnage plus complexe qu’il n’y paraît...
Or la vision de l'auteur n'est pas manichéenne, elle
est complexe ; comme l'est la personnalité de Hogue. Tout d'abord quelque
chose n'a pas fonctionné dans son parcours. Au passage de l'adolescence à l'âge
adulte, une perte de confiance aurait déclenché la cascade de mensonges. Mais
Si David Samuels avoue éprouver de la sympathie pour James Hogue, c'est aussi
parce que ce dernier s'est joué de la politique de recrutement de Princetown
qui met en avant la diversité des origines de ses recrues pour mieux cacher la
réalité, à savoir que la priorité est donnée aux enfants des anciens de
l'université. Enfin, ce qui rend James Hogue un peu plus humain, au-delà des
enjeux de classe, c'est qu'il est en fait un pur produit de la société
américaine. Il a réellement souhaité interpréter le mythique self-made-man.
Très érudit, il croyait en sa capacité à se réinventer une vie, à repartir de
zéro après chaque imposture. Une critique sociale est donc
sous-jacente dans Mentir à perdre haleine,
qui porte sur le système éducatif, mais aussi sur l'hypocrisie ambiante vis-à-vis
de la place du mensonge dans certaines success-stories américaines.
Le journalisme narratif, un genre passionnant
Décidément, je trouve ce thème de l'imposture en
littérature passionnant. C'est un creuset où sont travaillées des
questions aussi diverses que le pouvoir de la fiction, la fragilité des
individus, la soif de revanche sociale, la morale, le « contrat
social », les mythes collectifs... Dans Mentir à perdre haleine, j'ai parfois trouvé la chronologie des
événements un peu difficile à suivre. Mais j'ai beaucoup aimé le ton du texte
où s'expriment toute la sagacité, l'humour et le sens critique de David
Samuels. Et puis le genre du journalisme narratif a ceci de pertinent
qu'il développe une narration en même temps que le commentaire de cette narration.
En s'intéressant aux faits autant qu'à l'intime qui préside aux choix
des individus, il permet le dialogue entre deux subjectivités, celle de
l'auteur et celle de son sujet. Et ce sont précisément cette implication et
cette prise de risque de David Samuels qui font tout le piment de Mentir à perdre haleine...