Les Corrections (éditions de L'Olivier, 2002) a constitué pour
moi une inoubliable expérience de lecture. Et pourtant je dois avouer que le
début a été un peu difficile, car Jonathan Franzen fait démarrer son histoire
dans l’atmosphère étouffante de la maison d’Al et Enid Lambert, à Saint Jude,
une grosse bourgade du Midwest. Leurs trois enfants adultes — Gary, Chad et
Denise — ont tous émigré sur la côte Est et l’ennui et l’angoisse pèsent sur la
vie du vieux couple. Un début sans concessions donc, où l’on fait connaissance
avec le style incroyablement dense de Jonathan Franzen. Mais j’ai persévéré
dans ma lecture et j’ai bien fait.
La comédie humaine américaine
Dans Les
Corrections, Jonathan Franzen dresse le portrait d’une famille typique des
États-Unis du début des années 2000, où les questions de l’argent et de la
réussite sociale sont centrales, où la morale et le puritanisme à l’œuvre
maintiennent des frontières générationnelles quasi infranchissables. Une
fresque familiale, donc, où les personnages cheminent dans des trajectoires
individuelles : échec professionnel, changement d’orientation sexuelle,
couple en crise, entrée douloureuse dans la sénilité... Jonathan Franzen,
avec son incroyable talent de conteur, explore les recoins les plus
intimes de la personnalité de chacun des membres de la famille Lambert, sans
manichéisme, tout en nuances. De sorte que le lecteur s’identifie aux
personnages, et même s’attache à eux, comme dans un roman de John Irving ou
dans une série comme Six Feet Under, pour vous donner une idée.
De forte amplitude romanesque
Mais Jonathan Franzen, c’est aussi une incroyable
intelligence qui lui permet de décrire très précisément certains phénomènes
économiques ou scientifiques et donc de donner à son roman une solide trame
réaliste sur laquelle tisser son histoire. On sourit aussi beaucoup en
lisant Les Corrections, car
Jonathan Franzen n’est pas avare de scènes burlesques et il aime placer ses
personnages dans des positions particulièrement ironiques compte tenu de leurs
croyances ou de leurs peurs. Mais le plus savoureux dans Les Corrections, c’est l’amplitude
romanesque du récit, les échos du passé dans le présent, les influences du
macrocosme sur le microcosme, c’est cet art de mêler les strates temporelles
pour donner de la densité, de la profondeur, et — finalement — de la vie au
roman.
Pour conclure, je dirais simplement que j’envie sincèrement
les personnes qui n’ont pas encore lu ce livre.