Dans 14 juillet (Actes Sud, 2016), Éric Vuillard
raconte la prise de la Bastille du point de vue de la foule, des
innombrables anonymes qui s’emparèrent de la poudre qui s’y trouvait. Une
plongée passionnante au cœur d’un des événements les plus importants de
la Révolution.
Les silences de l’histoire
14 juillet est
un récit (et non un roman) débutant en avril 1789, alors qu’éclatent les
premières émeutes et que tombent les premiers morts sous les balles des soldats
défendant l’Ancien Régime. Il s’achève à la nuit tombée, le 14 juillet, quand
la joie a gagné tout Paris. Éric Vuillard s’est appuyé sur des archives —
témoignages, procès-verbaux, listes de noms, etc. — pour reconstituer les faits
et retrouver la trace des individus rassemblés autour de la forteresse. Ce
faisant, il interroge la fabrication de l’histoire, la notion d’anonymat,
secoue les figures héroïques connues, imagine les parcours des oubliés des
livres d’histoire, et comble les trous laissés par « le mutisme effrayant
des choses écrites ». C’est passionnant à lire, on a soudain l’impression
d’y être et que le temps est aboli. Et surtout, en s’éloignant du grandiose et
en se rapprochant du trivial, on entrevoit à quoi ressembla l’élan
révolutionnaire.
Nommer la foule, incarner l’histoire
Car Éric Vuillard est un grand conteur. En accolant aux
faits historiques des noms, des métiers, des sentiments, de la sueur, en
reconstituant des vies, ou simplement des passages, il déploie un récit
souterrain. Et la langue l’y aide. Foisonnante, riche, elle est d’une
incroyable précision lexicale, nous disant les métiers du XVIIIe siècle,
de quelles matières étaient faits les habits des émeutiers... Et dans sa
crudité, elle donne du corps à l’histoire : « dans la nuit du 13
juillet tout cela résonne, ça gratte entre les pattes du petit chien qui
traîne, ça urge entre les jambes du vieil ivrogne qui pisse, ça poisse sous les
aisselles du chiffonnier, ça démange tout le monde. »
L’écrivain visionnaire du passé
Mais le plus savoureux dans 14 juillet, c’est que tout ce matériau du réel côtoie le
merveilleux, la légende, la poésie... La voix du narrateur ressemble en
effet à celle d’un vieux sage un peu exalté qui raconterait à son auditoire une
histoire extraordinaire au coin du feu, en la ponctuant d’exclamations et de
sentences : « Ainsi la sédition. Elle surgit dans le monde et le
renverse, puis sa vigueur faiblit, on la croit perdue. Mais elle renaît un
jour. » Et il y a en effet quelque chose de quasi magique à voir
s’incarner entre les lignes du livre les personnages de la prise de la
Bastille... C’est sans doute le pouvoir des grands écrivains que de donner
à voir l’invisible, et ainsi de se faire visionnaire du passé.