Il faut absolument que je vous parle de Zeitoun, ce récit de l’écrivain
américain Dave Eggers car il m’a bouleversée. J’en avais entendu parler dans
l’émission de radio Le Masque et la plume où Nelly Kaprièlian l’avait
conseillé. L’envie de le lire m’était restée, du coup j’ai été super contente
de le trouver à la bibliothèque de l’Alcazar.
Partir ou rester pendant l’ouragan Katrina
Le récit de Dave Eggers retrace l’histoire vraie arrivée
pendant l’ouragan Katrina (2005) à Abdulrahman Zeitoun, citoyen américain
d’origine syrienne vivant à La Nouvelle-Orléans, entrepreneur dans le bâtiment
reconnu et respecté dans sa ville. À l’annonce de l’arrivée de l’ouragan, sa
femme et leurs enfants évacuent la ville, mais lui décide de rester. Il se sent
investi d’une mission : « il pensait avoir été appelé à rester, que
Dieu savait qu’il saurait être utile s’il ne partait pas. » Après que les
digues ont cédé, il protège et répare sa maison, « un foyer méritait qu’on
se batte pour lui » et vient en aide à ses concitoyens coincés sur leurs
toits. Sa femme le supplie de quitter la ville décrite dans les médias
comme un « nouveau Far West », mais Zeitoun est un homme obstiné et
il refuse de partir. Ses forces sont décuplées, il navigue à bord de son
kayak dans les rues inondées : « en un sens, c’était un nouveau
monde, un monde inexploré. »
Le récit d'un scandale politique et judiciaire
Mais petit à petit, la dimension apocalyptique de la
catastrophe lui fait entrevoir le danger qui guette. Dans un environnement
métamorphosé par la catastrophe naturelle, il assiste à des scènes
extraordinaires (les chevaux blancs en liberté) et à la révélation de
la bravoure de certains voisins. Mais il observe aussi les hommes de la
Garde nationale passer à côté d’hommes en péril sans leur porter secours. La
vision d’un cadavre flottant le convainc tout à fait de quitter la ville. C’est
à ce moment précis qu’une deuxième catastrophe se produit, plus intime et plus
dévastatrice. Je ne peux rien vous dire de plus sans désamorcer le suspense
incroyable que Dave Eggers installe dans son récit. Sachez seulement qu’il y
dévoile un scandale politique et judiciaire effrayant. Que pendant les semaines
qui ont suivi le passage de Katrina, la paranoïa des autorités et des
militaires a atteint un tel degré d’absurdité que des hommes innocents ont été
littéralement brisés.
Dave Eggers et la collecte de témoignages
Derrière Zeitoun de
Dave Eggers, il y a un véritable projet éditorial. À la base, Dave Eggers est
le fondateur de la structure éditoriale McSweeney’s pour laquelle il
a créé la collection Voices of
witness (« Les Voix du témoignage ») qui recueille les
récits oraux de personnes « durement frappées par l’injustice sociale
contemporaine ». Après le passage de Katrina, lui et d’autres sont partis
écouter les habitants de la région raconter la catastrophe. La collecte a
abouti à l’édition du livre Voices
from the storm, dans lequel figurait l’histoire des Zeitoun. En la
découvrant, Dave Eggers a décidé d’y consacrer un livre entier. Il
est retourné les écouter et a entrepris des recherches. Au final, Zeitoun est un récit passionnant se
situant entre le témoignage, le reportage, le journal et le portrait d’un
homme, dont la jeunesse syrienne est racontée en parallèle aux événements liés
à l’ouragan. Un texte qui a valeur de réparation, si
tant est que l’atteinte à la dignité humaine puisse être réparée, et de
dénonciation d’un système devenu fou, qui s’est retourné contre les individus
qu’il était censé protéger. Une lecture coup de poing, bouleversante…