J’avais lorgné en librairie sur Et devant moi, le monde (éditions Philippe Rey) ; alors
quand je suis tombée dessus à la bibliothèque, je n’ai pas beaucoup hésité. Il
s’agit de l’autobiographie de l’écrivaine Joyce Maynard, dans laquelle elle
revient sur la relation qu’elle entretint avec J. D. Salinger alors qu’elle
était âgée de 18 ans (et lui de 53 ans). Comme beaucoup, j’ai lu et aimé L’Attrape Cœur de Salinger, qui
raconte les aventures de Holden Caulfief, en proie aux tourments de l’adolescence.
Quoi qu’il en soit L’Attrape-Cœur
est un grand roman ayant valu à son auteur une célébrité qu’il fuit, puisque
lorsque Joyce Maynard fit sa rencontre, il vivait déjà reclus depuis de
nombreuses années.
Une entreprise autobiographique
Précisons que la matière littéraire de Et devant moi, le monde est la vie
de Joyce Maynard, et pas seulement cette liaison qu’elle a eue avec le grand
écrivain. Elle y relate quelle enfance atypique elle vécut dans une famille où
les parents éduquèrent leurs filles pour en faire des intellectuelles. Elle raconte
aussi la difficulté de vivre avec un père alcoolique, la joie que lui
procurèrent ses enfants, l’amertume ressentie dans un mariage malheureux.
Sujets somme toute banals, mais à travers lesquels Joyce Maynard explore le
poids des non-dits et des secrets et les sentiments de honte et d’imposture qui
en découlent.
Faire la lumière sur le passé
Son plus grand secret est bien sûr la liaison vécue avec
Salinger et le terme brutal qu’il y mit (l’auteure parle d’un « rejet
absolu et dévastateur »). Joyce Maynard explique ainsi dans la postface
de Et devant moi, le monde que
l’écriture de cette histoire a eu pour but de s’en détacher : « Ayant
écrit cette histoire, je me suis sentie capable de la laisser en repos. »
Mais c’est le thème de la vérité qui revient le plus souvent dans ses mots, et
pour cause, cette idée fixe de dire la vérité semble être une réaction à toutes
les hontes cachées : « Je crois que c’est dans sa capacité à parler
ouvertement et sans honte des événements réels de sa vie qu’une personne puise
le sentiment de force et de protection le plus solide. » Du coup, Joyce
Maynard ne fait pas que raconter comment la rencontre avec Salinger a changé sa
vie, après avoir enquêté sur lui, elle dénonce son comportement :
misanthrope, il aurait vécu en reclus avec des jeunes femmes qu’il isolait
avant de les rejeter. Ressurgit alors l’éternelle question du hiatus entre la
personne que peut être un écrivain et la qualité de son œuvre...
En creux, le portrait d’une femme moderne
En tant que lecteur, on est animé par des sentiments
ambivalents à l’égard de Joyce Maynard : on admire son courage, mais on
reste circonspect quant à la complexité des motivations qui ont animé le projet
d’écriture (elle avoue avoir vendu les lettres de leur correspondance pour
payer des factures). Mais je dois dire que je reste admirative de son parcours,
du cheminement intellectuel sur le sujet de l’honnêteté, de l’affirmation de
son talent de journaliste et d’écrivain qu’elle n’a jamais mystifié ou idéalisé
et qui a été pour elle un moyen de gagné sa vie, d’être indépendante, de faire
ce qu’elle savait faire et d’en vivre. Bref, c’est une figure féminine forte
qui se dessine, celle d’une battante, d’une femme ambitieuse et brillante.
L’Attrape-Cœur versus Et devant moi, le monde…
Pour finir, je ne résiste par à l’envie de vous citer la
première page de L’Attrape-Cœur,
qui constitue probablement l’exact opposé du livre de Joyce Maynard : « Si
vous avez réellement envie d’entendre cette histoire, la première chose que
vous voudrez sans doute savoir c’est où je suis né, ce que fut mon enfance
pourrie et ce que faisaient mes parents et tout avant de m’avoir, enfin toute
cette salade à la David Copperfield, mais à vous parler franchement, je ne me
sens guère disposé à entrer dans tout ça. »