Je dois vous avouer que pendant longtemps, je n’ai pas bien
compris ce qu’était le livre d’artiste. L’art en était-il le sujet ? Ou
bien l’artiste ? Qu’est-ce qui le caractérisait ? Son unicité ?
Son côté spectaculaire ? Alors quand une amie m’a proposé d’aller assister
à la visite de l’exposition Esthétique du livre d’artiste par son commissaire,
Anne Mœglin-Delcroix, au centre de documentation du
FRAC (Fonds régional d’art
contemporain), j’y ai vu l’occasion d’éclaircir un peu tout
ça !
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Façade du FRAC, le bâtiment, inauguré le 22 mars dernier a été conçu par Kengo Kuma |
Le livre d’artiste : tentative de définition
Le livre d’artiste est apparu dans les années 60, à une
époque où les artistes d’art contemporain ont voulu désacraliser l’art. Ils ont
eu l’idée d’utiliser le livre — un support potentiellement reproductible pour
le plus grand nombre – pour illustrer cette idée. Il faut comprendre le livre
d’artiste à la fois comme un objet qui fait œuvre, que l’on pourrait exposer
chez soi, ou dans un musée et comme un objet artistique entièrement conçu par
son auteur (toutes les étapes de la réalisation prises en charge par lui). Le
livre d’artiste est donc porteur de sens par son contenu et sa forme, il est un
manifeste en quelque sorte, comme l’est toute œuvre d’art.
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Edward Ruscha, Some Los Angeles Appartments, 1965 |
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Christian Boltanski, Kaddish, 2010 |
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Maxime Chanson, 600 démarches d'artistes, 2011 |
Collections et inventaires à l’exposition Esthétique du
livre d’artiste
Pendant la visite, Anne Mœglin-Delcroix nous a expliqué
qu’elle s’était concentrée sur un genre particulier du livre d’artiste, celui
des collections et inventaires. C’est dans le fonds Livres, Éditions et
Multiples d’artistes du FRAC qu’elle a sélectionné les livres exposés. En les
découvrant j’avoue avoir été étonnée par leur côté un peu austère, je
m’attendais à découvrir des livres-objets spectaculaires. Mais j’ai appris que
la forme même du livre, avec son accumulation de pages, se prête particulièrement
à la pratique de la collecte et de l’inventaire. Il faut y regarder de plus
près pour saisir l’intention de l’artiste. L’inventaire et la collection sont
souvent une méthode pour rendre compte de la réalité quotidienne de manière
systématique et exhaustive, pour embrasser la portion du monde vers laquelle
l’artiste a choisi de diriger son regard. C’est le cas du catalogue de Maxime
Chanson 600 démarches d’artistes
qui rend compte du travail de tous les artistes contemporains de son
époque ! Parfois, le livre d’artiste n’est pas dénué d’humour, ainsi
dans Hyperobjets d’art, Pascal
Le Coq détourne des objets de consommation courante en les renommant. D’autres œuvres
ont une intention critique, comme Kaddish de
Christian Boltanski, qui est un inventaire de portraits d’étudiants juifs
assassinés par les nazis, à la fois hommage aux victimes et dénonciation du
génocide.
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Annette Messager, Les Tortues volontaires, 1974 |
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Herman de Vries, Natural Relations, 1989 |
Le livre d’artiste, une œuvre d’art contemporain
Grâce à cette exposition, on comprend en quoi le livre
d’artiste est une œuvre d’art contemporain : manifeste, transformation
d’un objet de consommation courante en un objet plastique, réflexion sur la
démarche documentaire comme mode de témoignage et de connaissance du monde,
conception de l’objet par l’artiste… Beaucoup de choses m’auront certainement
échappé, mais réfléchir au sens du livre d’artiste et au positionnement de son
auteur m’a plu.
Esthétique du livre
d’artiste, le livre d’Anne Mœglin-Delcroix
Un dernier mot sur Esthétique
du livre d’artiste, le livre d’Anne Mœglin-Delcroix réédité par l’éditeur
marseillais Le Mot et le reste. J’ai pu le consulter sur place, il constitue
une fabuleuse typologie du genre.
(Avril 2013)