J’ai trouvé Rêves
d'hiver au petit matin dans le quartier de la Plaine à Marseille à la
librairie Le Lièvre de Mars, spécialisée dans les arts graphiques et la
littérature. Il contient les textes de cinquante auteurs à qui Bernard Magnier
(spécialiste de la littérature africaine) a demandé de rédiger un texte court
inspiré par les deux mots suivants : « Printemps arabes ».
Proposition faite dans le cadre des manifestations et rencontres organisées au
théâtre Le Tarmac (lieu
parisien dédié à la scène internationale francophone) au début de l’année 2012.
La réunion de ces textes en un recueil a été réalisée par elyzad, maison d’édition tunisienne
spécialisée dans la littérature francophone.
Un recueil aux formes multiples
Toute latitude ayant été laissée aux auteurs quant au
contenu et à la forme littéraire, le recueil Rêves d'hiver au petit matin foisonne de tonalités et de styles
d’écriture différents. On y trouve des textes critiques, poétiques ou narratifs ;
parfois sévères et ironiques ou bienveillants et encourageants. Des textes
auxquels répondent, entre autres, les dessins humoristiques du bloggeur _Z_ ou ceux, plus allégoriques, de
Zeina Abirached, ainsi que les photographies de graffitis, messages ou affiches
collectés sur les murs de villes arabes. Sa composition fait de ce livre un
objet original et multiple.
Regards croisés sur les printemps arabes
Rêves d'hiver au petit
matin est un ensemble de regards croisés sur les printemps arabes. Car
s’ils participèrent du même élan d’émancipation, les mouvements populaires n’en
furent pas moins divers, ne serait-ce que dans les résultats auxquels ils
aboutirent : renversements des régimes (Égypte, Tunisie), réformes
constitutionnelles (Maroc, Algérie), guerres civiles (Lybie, Syrie),
répressions suivies de nouveaux soulèvements (Bahreïn), changement de
gouvernement (Yémen, Jordanie). Alors les impressions des auteurs diffèrent forcément
selon le pays sur lequel ils posent leur regard, d’autant qu’ils ont perçu les
événements à distance, sous des latitudes différentes, pour la majorité.
Plusieurs textes ont d’ailleurs une teneur très critique ou expriment une
déception douloureuse à propos de la tournure qu’ont prise les événements.
Ainsi, Wilfried N’Sondé s’insurge contre les termes de « printemps
arabes » qui réduisent le mouvement à une « dynamique ethnique et
politique ». Derri Berkani, quant-à lui, déplore qu’un soulèvement populaire
si prometteur ait abouti à une « catastophe salafiste ». D’autres
écrivains dénoncent l’illusion de l’amélioration de la condition des femmes
arabes (Souâd Belhaddad) ou les discriminations qui demeurent à l’égard des
minorités ethniques des sociétés arabes (Nétonon Noël Ndjékéry). Une diversité
de points de vue qui apporte de la complexité dans le débat, mais qui n’empêche
pas d’autres écrivains de continuer à espérer dans le processus de libération
engagé et toujours en cours. C’est ce sentiment d’espoir qui fait dire à Mahi
Binebine, peintre et écrivain marocain : « nous avons appris à nous
tenir debout, et cela est irréversible. » Plusieurs auteurs reprennent
cette idée que les soulèvements ont été un moment dans un processus historique
long, qui demeure encore incertain.
"Cet article concerne un événement en cours"
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Universalité de l’espoir
Il y a aussi les écrivains étrangers dont la reconnaissance
dans ces mouvements populaires nous parle de notre aspiration universelle à la
liberté et à de meilleures conditions de vie. Ils disent ce que les
manifestations ont représenté pour eux, comme l’auteur comorien marseillais
Salim Hatubou, qui s’adresse à son ami tunisien Tahfat : « nous avons
planté ton jasmin qui fait fleurir de l’ylang-ylang sur ma terre ! »
Dans son poème, l’écrivain français Edouard Manet en appelle à la solidarité
des peuples entre eux : « Vous venez de donner une très belle leçon
au monde. Puisse le monde vous tendre la main si l’hiver menace. »
Silence sur le mouvement des Indignés
Parfois, au-delà de l’empathie et de l’admiration, émergent
des doutes sur nos propres valeurs européennes. C’est ce qu’expriment les mots
du dramaturge roumain Matéi Visniec : « Oui, l’automne européen devrait
avoir un choc terrible en se regardant dans le miroir du printemps
arabe ». Il fait référence à la crise économique européenne, mais
l’étonnement qui me reste à la lecture du recueil, c’est que ni lui ni personne
n’évoque les mouvements populaires des Indignés qui ont secoué l’Europe en 2011
(et certaines autres régions occidentales du monde). Pourtant, plusieurs
écrivains soulignent que la contestation dans les pays arabes est venue non
seulement d’une aspiration à plus de liberté mais aussi à des conditions
économiques meilleures. Étrange silence.
Après le printemps...
D’autres sujets sont abordés dans le recueil, comme le rôle
ambivalent des médias ou le pouvoir de la non-violence. De nombreux textes
rendent également hommage à Mohamed Bouazizi, l’homme tunisien dont
l’immolation le 17 décembre 2010, fut le premier acte de révolte contre les
autorités de son pays. Le titre du recueil, Rêves d’hiver au petit matin, rappelle au lecteur que l’histoire se
rejoue chaque jour. Entre admiration, reconnaissance, déception ou soutien
morale, les printemps arabes continuent de susciter des réactions multiples.
C’est tout le mérite de ce livre que d’entretenir le débat et de faire
naître en nous des réflexions qui nous rendent forcément un peu plus solidaires
de ce qui se passe autour de nous.
(Novembre 2012)