J’ai rarement eu des sentiments aussi mitigés à la lecture
d’un roman. Que viva la música du
colombien Andrés Caicedo est paraît-il un livre culte, et même, aux dires de
l’éditeur Belfond qui en a fourni la première traduction française, « un
des chefs-d’œuvre de la littérature latino-américaine du XXe siècle ».
Un blog a
même été dédié au livre et à son traducteur et une
édition numérique enrichie a paru. Le contexte actuel de lancement de la
version française n’a donc pas grand-chose à voir avec celui de la sortie du
livre en 1977 en Colombie. Mais le texte n’a pas changé, lui. Ce qui est
ennuyant, c’est de le présenter sous l’angle d’un hymne psychédélique à la
salsa, en passant sous silence tout ce qu’il charrie de violence et de
désespoir (car c’est précisément là où se situe l’irrévérence). Paradoxalement,
si ma lecture du livre a été assez pénible (le texte est réputé intraduisible),
elle m’a pourtant laissé derrière la rétine des impressions authentiques de ce
que furent les années 70 à Cali en Colombie.
Que viva la música ! est
le témoignage de María del Carmen, jeune fille issue de la bourgeoisie des
quartiers du Nord, qui un matin, décide de rompre avec sa vie d’étudiante et de
plonger à corps perdu dans le monde de la nuit et de la salsa.
« Gadji » adorée de tous, elle est possédée par la salsa :
« j’ai compris que l’écheveau de la musique était mon destin »,
expérimente toutes les drogues, est initiée à la musique par ses amants et
protégée par le groupe. Petit à petit, son obsession pour la danse l’isole
cependant : « personne ne semblait vivre dans l’intérêt permanent de
la musique. » Elle fait des choix de plus en plus radicaux, flirte avec le
crime, répond à des préceptes révolutionnaires personnels « accouple la
corruption à ta fraîcheur d’enfant » ou « Refuse les trêves, établis
ton foyer dans le ravage, l’excès et la trépidation. » À travers son
personnage, Andrés Caicedo exprime toute sa révolte et sa volonté de rupture et
de renversement de l’ordre établi. Suicidé à 25 ans, il a réalisé un des
préceptes édictés dans son roman : « Va au-devant de la mort,
fixe-lui rendez-vous. Personne n’aime les enfants vieillis. » Célébration
désespérée de la jeunesse, le roman oscille entre le manifeste et le testament.
Édition en espagnol (Alfaguara) |
Édicté à la première personne, le texte fait entendre la voix de María del Carmen : « bientôt je vais être emportée par cette nuit que mon récit a vu naître, et je ne veux pas que tout ça soit traficoté par l’oubli. » Pour rapporter de manière authentique, Andrés Caicedo a élaboré une langue oralisée, argotique, dynamique et musicale où se mêlent à la syntaxe des phrases des paroles de chansons de salsa : « tout ça étant la perte de l’expérience fondamentale de sa vie, donne-moi la marmite Macoró. » À ceci s’ajoute une écriture hallucinée très imagée évoquant les visions de María sous acide. Il est difficile d’avoir un avis sur le style de Caicedo, tant sa version française semble le desservir. Disons que ce mélange est plus ou moins heureux selon les passages. Il faudrait lire le texte dans sa langue d’origine pour se faire une meilleure idée.
Navigation dans le livre numérique enrichi (sur ipad)
Quoi qu’il en soit, l’intérêt du livre demeure désormais
dans sa portée testimoniale, Que
Viva la música ! est truffé de références à la culture musicale
et cinématographique des années 70 qui influença son auteur :
les Rolling Stones, Ricardo Ray et Bobby Cruz, rois de la salsa, Fellini,
Pasolini, l'écrivain mexicain Mariano Azuela, le chanteur Ruben Blades, le
musicien Tito Puente, etc. Plus précisément, Andrés Caicedo raconte la culture liée
à la salsa à cette époque et comment cette dernière fut l’emblème d’une
identité latino-américaine métissée, revendiquant ses origines afro-américaines
et affranchie de l’influence nord-américaine.
Vu à la bibliothèque ! |
Afin d’offrir au lecteur une lecture documentée et
éclairante sur toutes ces références, l’éditeur a eu l’idée d’un livre
numérique enrichi. On a accès depuis le sommaire de l’ebook à des métadonnées
variées : documents d’archives, vidéos de Caicedo, galerie de photos,
extraits musicaux à écouter sur iTunes ou Deezer, carte géographique, préfaces
et postfaces. Seules les notes du traducteur (nombreuses et éclairantes) et la
carte sont accessibles depuis le texte cependant. Par ailleurs, personnellement
je ne lis pas sur l’iPad, impossible de supporter la luminosité de l’écran pour
une lecture prolongée (peut-être un manque d’habitude, mais mes yeux sont assez
réfractaires), j’ai donc consulté l’iPad séparément. Si vous ne disposez
que d’une liseuse, vous ne pourrez pas y lire le contenu multimédia, sachez-le
(mais il est équivalent au contenu du blog).
Présentation de l'éditeur
Voilà je suis déçue d’être passée à côté de ce livre, j’aurais
dû aller à la rencontre que L’atinoir avait
organisée autour du livre samedi dernier, je l’aurais peut-être lu
différemment. Nos parcours de lecture sont ainsi faits que la rencontre avec un
texte parfois ne se produit pas. Tentez votre chance, et revenez me dire ce que
vous en avez pensé.
Pour aller plus loin, écouter cette
émission Les traverses du temps de Marcel Quillévéré sur France
Musique, consacrée aux références musicales du livre, avec pour invité son
traducteur.
(Informations sur les prix des différentes versions :
19,50 € en papier, 13,99 € en ebook enrichi, 12,99 € en ebook
non enrichi).