Cette année, je ne voulais pas manquer le festival
littéraire Les
Correspondances,
alors malgré une pluie torrentielle et une ambiance de jugement dernier sur
l’autoroute, je me suis rendue à Manosque samedi dernier.
À 15 h, un large public était réuni sur la
place de l’Hôtel de Ville pour écouter Lionel Duroy, interrogé par Maya Michalon
sur son dernier livre L’Hiver des hommes. L’auteur passionné par son sujet
a évoqué ses entrevues avec d’anciens criminels de guerre serbes pour la
préparation de son roman. À l’écouter, on pouvait sentir combien il était
encore habité par son livre.
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Lionel Duroy venu parler de L'Hiver des hommes devant un large public
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Déambulation dans Manosque |
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Écritoire public
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C’est la quatorzième édition du festival des Correspondances
et on voit bien que les habitants se sont approprié la manifestation (même si
la moyenne d’âge du public reste assez élevée). On pouvait en effet lire des
citations de Jean Giono, illustre Manosquin, sur de nombreuses vitrines. Mais
mon attention se porta sur les fameux écritoires : le festival avait mis à
la disposition du public non seulement du papier à lettres et des enveloppes, mais
aussi des installations et lieux d’écriture, parfois improbables comme ce
« salon perché » imaginé par Jean Lautray. À condition de poster les
lettres durant le temps du festival dans les boîtes aux lettres prévues à cet
effet, le festival s’occupait de les affranchir pour vous. Séduite par l’idée,
je suis entrée dans un bistrot participant à l’opération et j’ai écrit ma
lettre en buvant un café.
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Écritoire et boîte aux lettres chez le papetier
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Au bistrot : café-lettre
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Un autre écritoire, ni vu ni connu
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Caisse à lettres et écritoire |
Un peu plus tard, sur la place Marcel Pagnol, a commencé une
rencontre animée par Yann Nicol entre Gaëlle Bantegnie, auteure de Voyage à Bayonne et Aurélien
Bélanger, auteur de La Théorie de
l’information. Gaëlle Bantegnie revint sur son désir de rendre compte d’une
époque (l’action du roman se passe en 1998) à travers la description de
l’environnement concret de ses personnages et de leur rapport sensible aux
choses matérielles, en limitant au maximum les commentaires psychologiques ou
le « commentaire surplombant ». Aurélien Bélanger, très concentré,
exposa quant à lui quelques-unes des idées développées dans son livre : la
théorie de l’information de Shannon serait une théorie totalisante de toutes
les autres théories scientifiques, l’information viserait à maîtriser le temps
et à réparer l’entropie. S’ensuivit un débat passionnant entre les auteurs sur
les lieux de la postmodernité dans le roman contemporain et la position de
l’auteur par rapport à l’époque décrite.
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Rencontre entre Gaëlle Bantegnie et Aurélien Bélanger
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Des correspondances certaines entre les livres...
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Dans le public
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Nouvelle déambulation manosquine, sur la place de l’Hôtel de
Ville, Olivier Adam affirme (lui aussi) avec force son refus d’adopter un
« regard surplombant » sur son époque et conclut sur son engagement
en faveur d’une littérature sociale, sous les applaudissements enthousiastes du
public.
Au Théâtre Jean-le-Bleu à 19 h, était programmée une
lecture de Pascal Quignard. L’auteur est apparu dans une obscurité totale et a
rejoint le seul espace éclairé de la scène, la petite table où il s’est
installé pour commencer la lecture de quatre textes issus des Désarçonnés paru récemment,
précédés chacun par l’audition d’un chant choisi par l’auteur. Je pensais que
l’idée sous-tendue par le livre était que la chute (au sens propre et figuré)
d’un homme et la proximité de la mort entrevue pouvait être à la base d’une
renaissance. Il ne m’a pas semblé que le choix des textes illustrait au plus
près cette idée, mais sûrement faut-il lire l’œuvre dans son ensemble pour
accéder à la pensée de l’auteur. La lecture fut belle, l’écoute des
spectateurs proche du recueillement et la présence de l’auteur dans cet
éclairage avait quelque chose de presque surnaturel. J’ai été fortement
impressionnée par cette immersion dans un univers romanesque épique,
historique, érudit, porté par une écriture pourtant tellement fragmentaire,
économe, concise.
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Le salon perché
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Jean Giono, illustre Manosquin
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À la nuit tombée |
Le festival proposait également des lectures spectacles et
des concerts littéraires, en un mot célébrait une littérature vivante, déplacée
dans l’espace public. Une manifestation où les lecteurs écrivent et
les auteurs lisent, où chacun a la possibilité de faire un pas de côté, ce
n’est pas si courant… Un très beau festival, qui a d’ailleurs inspiré à la
ville de Tanger au Maroc la création de ses propres
Correspondances dont
la première édition commence cette semaine.