Le Syndrome de Fritz est
le premier roman de Dmitri Bortnikov, écrit en russe, sa langue natale, traduit
et édité en France par les éditions Noir sur blanc et paru récemment en poche
chez Libretto. J’ai découvert les livres de l’auteur, car il était en résidence
à l’association Peuple
et Culture Marseille (je vous avais parlé ici de
l’association).
Le roman raconte l’histoire de Fritz, qui vit dans un squat
parisien, le Territoire, « monde à part où Paris n’avait pas sa
place ». Ce dernier met en place un rituel d’écriture faisant ressurgir
les souvenirs de son enfance puis de sa vie à l’armée en Russie. Il écrit
avec un marqueur sur un drap, nu, les yeux bandés, comme possédé par le flot de
visions et de mots qui se déversent. Fritz découvre « l’art ancestral de
l’auto-expression ». Le lecteur est à la fois complice de la mise en abîme
et plongé dans le récit des épisodes marquants de la jeunesse du personnage.
Une jeunesse en Russie
Fritz grandit entre un père et un grand-père alcooliques et
une grand-mère aimante disparue trop tôt. Période violente et douloureuse où il
découvre aussi son attirance pour le corps masculin, cristallisée dans celui
d’Igor, son premier amour. Le jeune garçon se construit petit à petit :
« à chaque moment de mon existence, un peu de ma vraie nature se révélait
à moi. » La deuxième partie est consacrée à sa vie de jeune homme
dans un bataillon de construction en Sibérie « l’anus de l’armée, ouvert
aux débiles, aux agités du bocal et aux gibiers de potence ». Fritz et ses
compagnons connaissent la misère, le froid, la faim, l’humiliation et la
persécution. Mais là encore, au milieu de la pire brutalité, il connaît son
deuxième grand amour.
Le corps, dernier espace de liberté
Dmitri Bortnikov nous parle d’hommes à la marge, pour qui
l’intimité serait le dernier espace de liberté, le seul où l’on ne disposerait
pas entièrement d’eux. Le corps est d’ailleurs très présent dans le roman,
objet de désir, de souffrance ou de honte. Il est aussi question dans Le Syndrome de Fritz de poésie, de
lettre d’amour, de paysages enneigés, de village iakoute perdu dans la
steppe... Le personnage de Fritz fait penser au Notre-Dame des Fleurs de Genet,
opposant à la brutalité du monde la délicatesse de ses sentiments amoureux et
son goût pour la poésie. Mais la meilleure réponse faite à l’absurdité du monde
par Fritz et ses compères est le rire. Déjà enfant, Fritz est fasciné par le
personnage du Bouffon : « Ce rire jouissif, inépuisable. Cette
liberté sans limites. » La découverte de l’art de Rabelais de « rire
des tragédies du corps » lui procure aussi un véritable apaisement. Puis
plus tard, à propos de la vie à l’armée, Fritz rapporte : « La tragédie
rien à foutre ! On était trop jeune et trop affamés pour elle. Nous on
voulait vivre. » Un refus du tragique de l’existence illustré par l’auteur
dans des scènes burlesques d’une grande force libertaire.