Si vous passez par Nantes, ne manquez pas de vous rendre au
Musée de l’Imprimerie, fondé en 1986 et géré par l’
Association Pro Arte Graphica. Véritable lieu de conservation des techniques anciennes de l’imprimerie, il propose en plus de la traditionnelle salle d’exposition un espace de démonstration animé par des professionnels passionnés. Car
le musée est une imprimerie qui accueille des scolaires et des stagiaires et qui produit aussi des documents pour des artistes selon d’anciennes méthodes d’impression. Avec l’industrialisation de l’édition, la composition et l’impression typographique, la lithographie ou la gravure ont été remplacées par la photocomposition* puis la PAO* et par l’offset* et l’héliogravure*. Mais nous restons fascinés par le geste de l’ouvrier et de l’artiste, par l’unicité de l’œuvre produite, la porosité de sa matière et l’éclat de ses couleurs.
Nota bene : J’ai eu la chance de suivre la visite guidée du Musée de l'Imprimerie, voici les p’tites notes « mémographiques » que j’en ai rapportées. Elles reprennent en grande partie ce que j’y ai entendu, mais sont étayées par quelques recherches supplémentaires (dont les sources sont précisées en fin de billet). J’espère qu’on ne s’offusquera pas de cette réappropriation. J’ai voulu garder la trace de toutes ces nouvelles connaissances acquises pendant la visite, les partager et aussi tout simplement parler du musée qui m’a beaucoup plu.
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Le Musée de l'Imprimerie à Nantes est situé à côté de la
bibliothèque municipale
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LA COMPOSITION TYPOGRAPHIQUE
Vers 1440 en Allemagne, Gutenberg inventa les procédés
permettant l’impression à partir de caractères mobiles. Avant, les moines
copistes produisaient des manuscrits, c’est-à-dire des textes écrits à la main.
(En Asie cependant était déjà apparue la xylographie*.)
La typographie désigne les techniques de composition et
d’impression à partir de caractères en relief (à l’origine mobiles). La
composition du texte consistait à assembler sur la forme imprimante* les lignes
de caractères préalablement justifiées à la taille de la page. Aujourd’hui,
la composition typographique a été remplacée par la photocomposition puis
la PAO, mais elle fut le procédé de composition utilisé par la presse et
l’édition jusque dans les années 60 -70.
1. La composition manuelle du texte
- Elle nécessitait la fabrication des caractères :
le poinçon (lettre en relief et à l’envers) obtenu à partir d’un alliage
(étain, antimoine, plomb) en fusion coulé dans une matrice (la lettre en creux,
à l’endroit).
- Les caractères étaient rangés dans une casse (sorte
de coffre en bois). À l’époque de Gutenberg, on comptait seulement 22 lettres
(capitales, bas de casse [minuscules] et lettres accentuées), auxquelles
s’ajoutaient les chiffres, la ponctuation et les espaces mesurables en points
dido (la mesure de base de la typographie). Dans la casse, les voyelles étaient
au milieu, car elles étaient les plus utilisées.
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La casse
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Les cassetins où sont rangés les caractères
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- Les compositeurs typographes (seuls ouvriers
intellectuels de l’époque) alignaient les caractères dans le composteur, à la
vitesse de 1000 signes à l’heure. Ils s’aidaient d’une pince pour ôter une
coquille (poinçon tombé dans la casse du dessous). Les lignes étaient empilées
sur la galée. Ils ficelaient ensuite les lignes pour en faire une épreuve
qui était vérifiée par l’imprimeur. Après l’impression, les caractères
retournaient dans la casse.
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La galée où sont empilées les lignes du composteur
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2. La composition mécanique du texte
Au XIXe siècle, avec le développement de la presse, des
machines à composer mécaniques virent le jour :
- La Linotype (line of type) inventée en 1884 en
Allemagne permettait la composition, la fonte de la lettre et
sa distribution. Un clavier appelait les matrices (et non les poinçons)
qui descendaient dans un assembleur. La ligne de matrices était libérée dans un
moule rempli de métal. Une ligne de caractères en relief d’un seul bloc était
ainsi créée, la ligne-bloc, qui venait se ranger sur une galée. Les matrices
retrouvaient ensuite leur place dans les glissières.
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La linotype
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- La Ludlow : inventée aux États-Unis en 1911, elle
nécessitait un assemblage à la main des matrices, disposées devant la fondeuse qui
coulait la ligne-bloc pour les titres. Elle fut très employée dans la presse.
Il s’agissait donc de typographie semi-automatisée.
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La Ludlow
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- La Monotype : inventée en 1887
aux États-Unis, elle permettait la composition de 12 000 signes à
l’heure, elle fut davantage employée pour l’édition que pour la presse. Elle
était composée de deux machines : le texte était d’abord saisi sur
un clavier qui perforait une bobine de papier, puis une fondeuse déchiffrait
la bobine par un passage d’air comprimé dans les trous commandant le
déplacement du châssis porte-matrices. Un injecteur envoyait l’alliage dans le
moule de la matrice. Les caractères mobiles fondus étaient rangés dans un
composteur et chaque ligne envoyée sur une galée.
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Clavier de monotype
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Bobine de papier de la monotype
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Fondeuse de la monotype
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LES TECHNIQUES D’IMPRESSION ANCIENNES
Une fois le texte composé, restait donc à l’imprimer. Trois
techniques d’impression traditionnelles sont présentées au musée : l’impression
typographique (en relief), la gravure (en creux) et la lithographie (à
plat). Les technologies actuelles de l’offset et de l’héliogravure sont
héritières respectivement de la lithographie et de la taille douce.
1. Les Presses à imprimer
- La Presse manuelle/à bras : La première, en bois, fut
inventée par Gutenberg. La forme imprimante, fixée sur une plateforme en bois,
était recouverte d’une encre en pâte, à base d’huile de lin et de suie,
appliquée avec des balles recouvertes de peaux de chiens. La presse ressemblait
à un pressoir dont la vis descendait au-dessus d’un plateau (appelé platine).
Le tirage de la barre appliquait un coup de pression nécessaire au marquage de
la page. 200 à 300 feuilles étaient ainsi imprimées par jour.
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Presse à bras/manuelle
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Forme imprimante en bois
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Balles d'encrages
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Frisquette placée entre la feuille et la forme imprimante
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Encrage de la forme imprimante |
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Rouleau encreur |
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Page imprimée |
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Tirage |
- La Presse à platine : La presse à platine à pédale fut inventée en 1857 et permettait l’impression de 800 exemplaires à l’heure, puis on y ajouta un moteur vers 1900 qui permit d’augmenter la cadence à 3500 feuilles à l’heure. La forme imprimante était placée sur un marbre vertical et immobile et les feuilles sur une platine qui descendait sur la forme au préalable encrée par des rouleaux.
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Presse à platine |
- La Presse à cylindre : la platine avait été remplacée par un cylindre permettant l’impression de grands formats (affiches). La forme imprimante sur laquelle reposait la composition était plane et animée d’un mouvement de va-et-vient. À son contact, un gros cylindre sur lequel était placée la feuille se mettait à rouler.
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Presse à cylindre |
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Forme imprimante sur la presse à cylindre |
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Travail d'imposition consistant en la répartition des pages sur la feuille |
2. La Lithographie
Le terme
lithographie vient du grec « lithos » (pierre) et « graphein » (écriture). Le musée dispose d’un espace pour la démonstration et d’un espace pour la production. Deux métiers étaient liés à cette technique, celui de dessinateur reporteur lithographe, qui travaillait sans toucher la pierre et celui de l’imprimeur lithographe, chargé de fixer le dessin. La technique d’impression est basée sur la répulsion entre l’eau et le gras de l’encre.
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Dessin de la pierre lithographique
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- Un dessin est fait sur une pierre lithographique
(c’est-à-dire calcaire) avec un crayon gras (ou à l’encre grasse).
- Une solution acide (gomme arabique et acide nitrique) est
appliquée sur la pierre (la pierre ainsi gommée est protégée, elle peut être
touchée).
- Puis la gomme arabique est enlevée à l’eau, elle n’a pas adhéré au dessin
réalisé au crayon.
- L’encre est appliquée au rouleau encreur sur toute la pierre : là où il n’y a
pas de dessin au crayon gras, l’encre (qui est grasse) est refusée, chassée par
l’eau précédemment appliquée. Elle ne demeure que là où le gras du crayon l’a
retenue.
- Puis une feuille est appliquée dessus et la presse activée. Il faut réencrer la pierre à chaque passage.
Une
lithographie est une œuvre originale tirée à un nombre limité d’exemplaires, signée et numérotée. C’est pourquoi les imprimeurs effectuent un grainage de la pierre dont l’action abrasive efface le dessin.
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Pierre lithographique sur la presse |
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Collection de pierres lithographiques |
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Presse lithographique
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Passage du rateau sur la feuille posée sur la pierre |
3. La Gravure
L’imprimeur fait une démonstration d’impression avec
la technique de la taille douce, inventée à Florence en 1452. La taille douce recouvre tous les procédés de gravure en creux sur métal (opposée à la taille d’épargne où les parties non imprimantes sont vidées et où le relief imprime). Elle consiste en la gravure d’une plaque de cuivre au burin ou à la pointe sèche. Une autre technique,
l’eau-forte, consiste à graver une plaque recouverte de vernis, ensuite plongée dans un bain d’acide qui creuse le cuivre mis à nu. Ensuite, la plaque est encrée et essuyée pour que ne reste de l
’encre que dans les parties taillées. Le papier humidifié est placé sous une presse à cylindre qui l’imprime en creux.
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Plaque de cuivre gravée et encrée |
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Encrage de la plaque
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Impression en taille douce après passage de la presse |
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Héliogravure |
Pour finir, sachez qu’on peut
adhérer à la Société des amis du musée de l’imprimerie, qui promeut et soutient par ses actions le musée. Par ailleurs, le musée propose de nombreux stages pour les particuliers (adultes ou enfants) autour de la taille douce, de la lithogravure ou encore de l’enluminure, de la reliure ou de la calligraphie. Ainsi que des visites à thème le dimanche, en plus des visites guidées quotidiennes. Enfin, une exposition temporaire intitulée Pierres Blanches regroupe actuellement une sélection de lithographies d'artistes contemporains proches de la galerie nantaise
RDV. Bref ! Il y en a pour tous les goûts et les âges. Il me reste à remercier sincèrement Jean-Baptiste (imprimeur), Pascal (photograveur) et Philippe (typographe) pour leur chaleureux accueil.
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Typothèque renfermant une collection de polices de caractères |
Lexique :
- Xylographie : technique apparue dès le VIIe siècle en
Asie, ancêtre de la typographie. Gravure sur bois en relief permettant la
reproduction d’une image ou d’un texte par empreinte.
- Forme imprimante : plaque d’impression sur laquelle est
composé le texte.
- Photogravure : ensemble des techniques permettant la
réalisation des éléments nécessaires à l’obtention de la forme imprimante :
documents scannés (PAO), copie des couleurs sur la forme imprimante pour
l’offset ou gravure pour l’héliogravure.
- Photocomposition : composition par la photographie des
caractères.
- PAO : Publication assistée par ordinateur, désigne
l’ensemble des procédés informatiques permettant la fabrication de documents
imprimables.
- Offset : amélioration de la technique de la
lithographie : plaque cintrable, adaptée à un cylindre, et ajout d'un blanchet entre
le cylindre porte-plaque et le papier.
- Héliogravure : impression en creux par encrage d’un
cylindre gravé mécaniquement. Technique utilisée pour les grands tirages.
Sources :
COLLECTIF, Si Le Musée de l’imprimerie de Nantes
m’était conté…, Pro Arte Graphica, 1998
TWYMAN, Michael, L’imprimerie. Histoire et techniques, ENS
Éditions, 2007
FULACHER, Pascal, Six siècles d’art du livre, de
l’incunable au livre d’artiste, Citadelle & Mazenod/Musée des lettres
et manuscrits, 2012
AMBROSE, Gavin & Paul HARRIS, Les Fondamentaux de
la typographie, Pyramid, 2010
(Décembre 2012)