On a parfois des phases de lecture d’un certain genre. En ce
moment, je reviens régulièrement vers les littératures de l’imaginaire
(anticipation, science-fiction, fantasy, fantastique). Le genre est très
traduit, car plutôt anglo-saxon, mais Fabrice Colin est un auteur
phare en France. Je l’avais découvert il y plusieurs années au cours d’un stage
aux éditions L’Atalante pendant lequel j’avais lu Kathleen, roman fantastico psychologique s’articulant autour de la
figure littéraire de Katherine Mansfield. Et j’ai retrouvé l’auteur avec 49 jours, attirée par la couverture de
Marc Simonetti, faisant le choix du numérique parce qu’un peu moins cher (puis
je l’ai acheté en papier pour l’offrir). Paru aux éditions Michel Lafon, il est
classé en jeunesse en librairie, mais les adultes trouveront également leur
compte avec cette lecture hautement addictive.
L’histoire débute avec la mort de Floryan dans un attentat
terroriste. Il se réveille dans une prairie, entouré de montagnes majestueuses,
c’est l’Intermonde. Un Elohim (« être de lumière ») lui fait la
proposition suivante : choisir entre le Royaume, lieu de la félicité et de
l’amour absolu ou sauter dans le Nihil, un gouffre visible au loin. Il a 49
jours pour se décider. Floryan, encore tout pétri des sentiments humains de
tristesse et de perte, décide malgré tout d’explorer son nouvel environnement.
C’est ainsi qu’il rencontre Les Egarés, communauté d’hommes retranchés ayant
refusé de choisir. Initié à leur mode de vie archaïque, il apprend également
avec eux à voyager dans la Trame du temps et ainsi à revenir sur terre. Mais
des règles strictes régissent ces voyages temporels : il ne faut ni
chercher à se rencontrer, ni se montrer aux humains, ni aller dans le futur.
Floryan va déstabiliser la communauté en transgressant les règles.
On a donc plusieurs niveaux de récit dans le roman : le
temps « réel » de l’Intermonde et le temps « visité » des
vivants sur terre. C’est le sous-genre de la fantasy qui domine, situant
l’action dans un passé archaïque et merveilleux, riche de croyances et de
pratiques magiques. Parallèlement, les plongées de Floryan dans la Trame du
temps le font évoluer dans un décor de roman d’anticipation apocalyptique,
assez effrayant. Mais Fabrice Colin, avec ce roman caméléon, réserve d’autres
surprises que je tairai. Le surnaturel affleure partout dans ce texte d’une
grande force onirique, alimenté par des descriptions de paysages magnifiques,
très évocatrices. Le style de Fabrice Colin n’est pas sophistiqué, mais il est
limpide, ses phrases rondes font éclore dans l’imaginaire du lecteur des images
où le décor s’incarne miraculeusement. En lisant ce livre, je pouvais aisément
visualiser les scènes.
Les Plaines du paradis de John Martin pour illustrer
l'Intermonde
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Les voyages temporels sont d’ailleurs une métaphore de l’immersion dans la lecture. Les plongées dans la Trame du temps, dont ne savent plus se passer les Egarés, leur font arpenter des mondes inconnus, appartenant à des périodes révolues de l’histoire (celui des dinosaures ou celui du sacre de Napoléon, etc.). Le personnage de Scarlett explique à Floryan à propos de ces plongées : « de purs esprits, voilà ce que nous devenons. » Elles s’apparentent aux plongées du lecteur dans les univers romanesques imaginaires. L’écrivain-visionnaire lui ouvre les portes d’un monde parallèle auquel il lui demande de croire le temps de la lecture, selon un pacte tacite conclu entre eux.
Bon, je dois avouer que ma croyance a quelque peu fléchi sur
la fin du roman à cause de retournements de situations un peu alambiqués (je ne
suis peut-être pas assez aguerrie au genre). Mais je garde la foi et pas de
doute, je lirai la suite (le Tome 2 n’est pas encore disponible). Et quoi
qu’il en soit, le roman demeure un vrai plaisir de lecture, équivalent en termes
de réjouissance à la vision de films comme Avatar, Les Fils de l’homme ou
encore L’Histoire sans fin (non
je n’exagère pas !) Le livre allie aventure, amour, mélancolie, fin du
monde, réflexion sur la fin des prophètes et des dogmes religieux, sur la
spiritualité, sur le deuil, la transgression et la rébellion. Les adeptes du
genre se régaleront et les néophytes devraient saisir l’occasion d’un texte si bien
écrit et ficelé pour tenter une plongée dans la trame des littératures de
l’imaginaire !
Pour aller plus loin, écoutez cette émission de radio Le
Carnet d’or, où Fabrice Colin est invité (avec Maxime Chattam et Pit
Agarmen).