Retour au pays natal. Retour sur les traces de Rimbaud
(1854-1891), le poète ardennais, ou plutôt sur les lieux où il revenait
périodiquement, après avoir parcouru le monde. Car les traces qu’il a laissées
ont dépassé les frontières de la ville depuis longtemps. Les mots de ses textes
ont composé une cartographie cosmique du monde, le témoignage d’un Voyant ayant
inspiré de nombreux poètes. Les traces qu’il a laissées sont contenues dans son
œuvre. Alors que va-t-on chercher quand on va mettre ses propres pas dans ces
lieux ? Plusieurs choses. Des éléments biographiques pour comprendre la
dimension tragique de sa vie. Puis, le poète écrivait lorsqu’il revenait à la
maison familiale, comme Kerouac après ses traversées continentales, alors je
suppose qu’on revient aussi sur les lieux physiques de la création. Enfin, ces
lieux sont devenus des espaces de conservation ou de création et parfois les
deux à la fois, offrant accès à des informations et à une expérience
esthétique. Tout un imaginaire en somme, qui donne envie de lire l’œuvre de
Rimbaud.
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La Maison des ailleurs (où vécu Rimbaud de 1869 à 1875), vidéo d'Harar par Christian Barani
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Ancien collège du poète |
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Le Musée Arthur Rimbaud dans le Vieux Moulin de Charleville (XVIIe s.) |
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Affaires personnelles de Rimbaud |
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Livres techniques que Rimbaud se fit envoyer en Afrique |
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Rimbaud wanted in Brussels, Jim Dine (gravure sur cuivre, 1975) |
Un véritable parcours est proposé par la ville. Pour ma
part, j’ai commencé ma visite des lieux par le Musée Arthur Rimbaud situé dans
le Vieux Moulin sous lequel coule la Meuse. La scénographie mériterait un coup
de neuf et la plupart des objets exposés sont des fac-similés, mais on peut y
voir la valise du poète et quelques affaires personnelles. À l’étage, des
créations d’artistes du XXe siècle inspirées par l’œuvre de Rimbaud sont
exposées. À l’extérieur du Musée, sur les quais, les yeux des passants sont
accrochés par les chaises-poèmes de Michel Goulet, série intéressante, car
elles sont gravées de sentences rimbaldiennes parmi les plus importantes.
Ensuite, je me suis rendue sur la place Jacques Félix où se trouvait le collège
(devenu ensuite la bibliothèque) où le jeune poète trouva en la personne de
George Izambard son premier soutien. Puis je suis retournée à la Maison des
ailleurs qui est un endroit magique, situé dans la maison où vécut la famille
Rimbaud de 1869 à 1875 au premier étage. Des « évocations visuelles et
sonores » racontent les voyages effectués en Europe puis en Afrique et
suggèrent des présences, chaque pièce ayant été investie par un écrivain,
plasticien ou cinéaste pour créer une atmosphère sonore propre au vagabondage
mental du visiteur. Enfin, je me suis rendue à la librairie Rimbaud rue de la
République qui consacre un rayon entier à l’œuvre du poète, où j’ai fait
d’heureuses trouvailles.
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Série des chaises poèmes de Michel Goulet, sur le quai Rimbaud |

À mon retour, je me suis plongée dans Une Saison en enfer, texte écrit à l’été 1973,
à Roche, dans le grenier de la maison familiale, après l’épisode des coups de
feu à Bruxelles. Le poète s’interroge sur le pouvoir de la parole poétique, et
impuissant, en colère, constate que son rapport au monde a changé :
« Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s’ouvraient
tous les cœurs, où tous les vins coulaient. Un soir, j’ai assis la Beauté sur
mes genoux. Et je l’ai trouvée amère – Et je l’ai injuriée. » Les
désillusions vécues sont insupportables pour le poète épris de liberté, de pureté
et de vérité. Il repousse toute idée de compromis avec un monde désenchanté. Une Saison en enfer est un texte de
prose poétique possédant une double dimension narrative et critique. Rimbaud
appelle désormais « folie » son « alchimie du verbe » et
« sophismes magiques » ses visions. Il se voit en damné, admirant le
forçat, rejetant les idées de justice ou de bonheur. Le texte est une révolte
d’une force incroyable, en même temps que le témoignage d’une transition d’un
état à un autre (l’enfance finie), se terminant sur cet élan paradoxal :
« Il faut être absolument moderne. »
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La Maison des Ailleurs, qui fut la maison familiale (1869-1875)
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Photographies évoquant le séjour londonien de Rimbaud |
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La chambre de Rimbaud par le cinéaste Yann Beauvais. |
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Pièce du premier étage évoquant le séjour parisien (par l'écrivain Emmanuel Adely) |
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Pièce du deuxième étage évoquant les voyages en Europe (par
la vidéaste Sabine Massenet)
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"Rimbaud video link" proposant de relier par la
vidéo plusieurs lieux du parcours
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Je suis également en train de lire Rimbaud et la
révolte moderne, un ouvrage passionnant d’André Dhôtel. Ce n’est pas
une lecture facile, mais l’auteur y explique en quoi consiste la modernité de
la révolte rimbaldienne. Le poète moderne éprouve un doute quasi ontologique
sur la capacité du langage à transmettre la vérité du monde, car aucun objet
n’est réductible au mot qui le désigne. Le poète est celui qui est capable de
concevoir ce doute et de tenter de rétablir une continuité en posant des
« repères » et des « témoignages », lus et reconnus comme tels
par le lecteur, pour se saisir des choses à nouveau. Par ailleurs, pour qui
voudrait se pencher sur la vie légendaire de Rimbaud, je conseille la lecture
de Rimbaud de Jean-Baptiste Baronian publié dans l’excellente
collection « folio biographies », ainsi que Rimbaud, l’heure de
la fuite par Alain Borer (collection Découvertes/Gallimard). Enfin, les
éditions Textuel ont publié les lettres manuscrites du poète en trois volumes
avec leur transcription, leur lecture est vraiment émouvante. Bonnes
lectures !
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La place Ducale |
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À la librairie Rimbaud, rue de la République
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Pour aller plus loin : visiter le
site internet conçu par la ville
sur Arthur Rimbaud.
(Février 2013)