Le week-end dernier avait lieu la 6e édition du
Festival CoLibris, à
La Friche. Organisé par La Marelle,
il proposait cette année un « regard croisé latino-arabe ». Un
rapprochement inspiré tout d’abord par l’histoire et les migrations,
puisque de nombreux auteurs sud-américains ont des origines arabes ; puis par
les influences et les similitudes entre ces littératures (le conte oriental, le
réalisme magique) ; et enfin par une même tradition de l’engagement
politique. Le programme était riche : rencontres, lectures, projections,
concerts, avec des discussions hors de Marseille, sur le territoire, à Arles
(CITL) et à Aix-en-Provence (MMSH).
Pour ma part, j’y suis allée le samedi après-midi. J’ai
d’abord assisté à la rencontre avec l’écrivain mexicain Alberto Ruy-Sanchez,
auteur d’À mon cœur désirant (éditions
Galaade), roman dont La Marelle offrait un extrait permettant de découvrir la
langue poétique et sensuelle de l’auteur. Parti à Mogador (Essaouira au Maroc)
pour trouver sa propre voix, l’écrivain y est tombé amoureux. Il a déclaré
avoir voulu écrire « l’équivalent pour le toucher de ce que Le Parfum est à l’odorat » et
son approche de la ville est devenue une métaphore du langage du
désir (patience, fascination, sacralité et mystique)…
Un peu plus tard dans l’après-midi avait lieu la rencontre
intitulée « Déplacements », avec l’écrivain chilien Walter Garib et
l’écrivain guatémaltèque Eduardo Halfon. Dans son roman La Pirouette (éditions Quai
Voltaire), Eduardo Halfon évoque l’amitié d’un professeur guatémaltèque
et d’un pianiste serbe animé par un conflit entre ses identités serbe et
gitane. L’auteur nous a raconté s’être inspiré de son propre conflit entre ses
identités juive et arabe (trois grands-pères originaires du Liban, de Syrie et
d’Égypte). Il a joliment conclu sur l’idée qu’il se sentait partout chez lui,
grâce à cette « identité liquide »…
Julia Cultien, Solène Bérodot, Waler Garib, Alexis Dedieu,
Alain Nicolas
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Le roman de Walter Garib, Le Voyageur au tapis magique, édité par la maison d’édition
lyonnaise L’atelier du tilde,
raconte quant à lui l’histoire d’une famille sur trois générations, depuis son
arrivée de Palestine au Paraguay à la fin du XIXe siècle pour fuir
« la domination turque » et le « despotisme anglais » à son
installation à Buenos Aires. Je suis en train de lire le livre, il est
constitué d’une succession d’histoires dans l’histoire, racontant des parcours
individuels (des souvenirs formant des boucles temporelles) dont
l’enchâssement tisse au fur et à mesure la trame du roman. Alexis Dedieu,
l’éditeur, avec qui j’ai eu le plaisir de discuter plus longuement puisqu’il a
accepté de répondre à mes questions, y voit un syncrétisme, c’est-à-dire « une synthèse
de certains aspects du réel merveilleux et de la tradition des mille et une
nuits ». Par ailleurs, d’après lui, la tradition du conte fantastique et
merveilleux en Amérique du Sud, encore vivace dans la littérature contemporaine,
s’ancre dans une époque où l’on appréhendait encore de manière
épique un monde constitué d’espaces sauvages et inconnus.
Ce qu’il y a de bien dans les festivals, ce sont certes les
rencontres auxquelles on assiste, mais aussi celles que l’on fait ! C’est
pourquoi je voudrais vous parler davantage du travail de la maison
d’édition L’atelier du tilde,
car je suis heureuse d’avoir fait la connaissance de son équipe. Ils proposent
un catalogue d’auteurs hispanophones, essentiellement latino-américains, dédié
à la fois à la littérature contemporaine et à des textes dits « patrimoniaux ».
Une des particularités des éditions est la fabrication artisanale de leurs
livres. C’est ainsi que j’ai pu participer à un atelier de reliure japonaise
animé par Julia Cultien (qui, en plus de la reliure des livres, traduit des
textes et s’occupe de la distribution).
L’atelier du tilde est né il y a deux ans et demi et compte
une troisième personne, Delphine Giard, chargée des relations commerciales. Je
vous conseille d’aller faire un tour sur leur site pour découvrir les quatre
collections du catalogue, et dans La Boîte @ textes, des entretiens, vidéos,
dossiers thématiques, biographies et photos de rencontres. Alexis Dedieu m’a
expliqué que la fabrication artisanale des livres provenait à la base d’un
désir de trouver une nouvelle forme de support pour diffuser les idées d’une
édition indépendante. Mais en France où l’on sacralise l’objet-livre,
l’apparence esthétisante du livre a tendance à détourner l’attention du
contenu. Par ailleurs, la maison d’édition envisage une « redéfinition du
rapport à l’impression pour redéfinir le rapport à la distribution ».
Autrement dit, standardiser une partie de la production leur permettra d’être
mieux diffusés et ainsi de mieux se consacrer au travail d’édition. Sur les
enjeux de la diffusion en Amérique du Sud et en France, je vous conseille de
lire cet intéressant article de l’éditeur.
Un autre projet sur lequel travaille Alexis Dedieu, avec sa
collègue Mariana Lerner de Buenos Aires, est la revue Corrientes,
dont le lancement est imminent, et qui est destinée à nourrir les échanges
entre l’Amérique du Sud et l’Europe. Il s’agit d’une revue multimédia proposant
des chroniques culturelles dans les domaines de la littérature, des arts
visuels, de l’illustration, etc. Le premier numéro est intitulé « Eldorado,
cartographie d’un dossier sans avenir » et il s’articule autour d’un
dossier rétrospectif du travail de l’artiste suisse Vreni Spieser. Une quarantaine de
contributeurs de diverses disciplines, d’Amérique du Sud et d’Europe, ont
participé à la revue, qui a été conçue comme une cartographie visuellement
composée de « régions thématiques » à parcourir… Il me tarde de
découvrir ce projet carrément enthousiasmant.
En résumé, grâce au festival CoLibris, en quelques heures,
j’ai fait de vraies découvertes et des rencontres stimulantes, comme on
aimerait en faire plus souvent !
À lire sur le blog :
— Le
Festival CoLibris à Marseille (édition 2012)