Ce titre, Sale
temps pour les braves, j’ai eu la curieuse impression de le connaître quand
j’ai découvert le livre en librairie. Pourtant, il s’agissait bien de la toute
première traduction française (par Céline Leroy) du roman de Don
Carpenter, Hard rain falling, proposée par les éditions Cambourakis. Publié aux États-Unis
en 1966, le roman a été réédité en 2010 par la New York Review of Books,
et a trouvé une nouvelle audience, enthousiasmée par la redécouverte d’un texte
incontournable de la littérature de l’Ouest américain des années 60.
Jack Levitt, outsider du quotidien
Sale temps pour les
braves raconte l’histoire de Jack Levitt, que l’on découvre adolescent
en 1947, fréquentant les salles de billard de Portland (Oregon), et de son
difficile parcours dans la vie : à peine sorti de l’orphelinat, il passera
plusieurs années en maison de correction, deviendra boxeur, avant de retourner
en prison… Jack fera la rencontre de Billy Lancing, jeune métisse se débattant
avec sa condition de Noir américain dans un pays encore fortement marqué par la
ségrégation raciale. L’amitié puis l’amour les lieront, proches dans leur
condition d’hommes isolés par la norme. Plus tard, Jack s’essaiera à la vie
conjugale et parentale avec Sally, en Californie. Mais dans le roman de Don
Carpenter les personnages se heurtent décidément à une réalité brutale et
récalcitrante, qui les laisse souvent sur le carreau…
Un roman humaniste
Pourtant Jack Levitt évolue, il découvre les belles choses
de la vie : l’amour, les grands espaces (la scène de la découverte de
l’océan Pacifique est bouleversante), la culture (beaucoup de lecture)… Don
Carpenter est assurément un humaniste, qui dénonce la condition carcérale et le
racisme, et nous montre un personnage qui tente désespérément de comprendre le
monde dans lequel il vit, de le décrypter. Mais Jack est lucide sur sa
condition : il n’est pas du bon côté de la société, celle qui détient la
force. Alors il résiste et lutte, en solitaire, pour survivre, et même s’il
parvient petit à petit à maîtriser la pulsion de mort qui l’anime, et la colère
qui gronde en lui, il reste à la marge et perçoit les choses comme en
négatif : tout ce qu’il vit et qui n’est pas la prison… Les questions
existentielles restent sans réponses, il doit faire face à l’absurdité de la
vie et à ses peurs. Mais le livre ne verse pas dans le désespoir, plutôt dans
l’acceptation et le fatalisme. Âmes sensibles s’abstenir, Don Carpenter distille
de la vérité, et elle est à boire cul sec !
Don Carpenter, romancier de l'Ouest américain
J’ai beaucoup aimé ce roman… Il est très représentatif de la
littérature d’une génération d’écrivains de l’Ouest américain des années 60,
libertaires, dont les textes sont ancrés dans un certain quotidien, avec des
personnages un peu paumés, désaxés, « beats ». Don Carpenter fut
d’ailleurs très proche de Richard Brautigan. Les personnages de Sale temps pour les braves m’ont
aussi fait penser à ceux de Raymond Carver (écrivain américain des années 70-80),
qui évoluent dans une réalité parfois sordide, ou encore aux photos du livre de
Robert Frank Les Américains.
Leur point commun est d’avoir donné une dimension héroïque à des vies
ordinaires… Quant à la langue de l’auteur, elle est vraiment superbement
rendue par la traduction de Céline Leroy, qui est arrivée à restituer la verve
des dialogues et la tchatche des joueurs de billard. En résumé, vous ne
sortirez pas indemne de la lecture de ce roman, mais c’est bien ce qu’on
demande à la littérature, non ?