Je voulais vous dire quelques mots sur 77 de Guillermo Saccomanno,
écrivain argentin édité pour la première fois en France par L’atinoir en 2011. Je dois aussi
préciser qu’il s’agit d’une chronique partisane, car je travaille régulièrement
pour cette maison d’édition marseillaise. Eh oui, les frontières ne sont pas
hermétiques dans le monde du livre !
Une plongée dans la dictature militaire en Argentine
77 est un
roman mettant en scène un certain Gomez, narrateur a posteriori d’événements
arrivés en 1977 en Argentine, soit un an après le coup d’État de la junte
militaire menée par Videla. On est donc plongé dans le climat de terreur
instauré par le terrorisme d’État : les arrestations de prétendus
« subversifs » à toute heure du jour et de la nuit par des milicos vêtus en civils et
sillonnant la ville au volant de Ford Falcon vertes ; les manifestations des
mères de la place de Mai ; les 10 000 disparus ; la surveillance
de tous par chacun qui fait dire au personnage de Raimundi, prof de
philo : « nous figurons tous dans l’agenda de la mort. » Pour
Gomez, la terreur c’est l’espace extérieur tout entier, décrit comme un
« territoire occupé », toujours froid et menaçant.
L’engagement d’un antihéros
Le professeur Gomez est un homme ordinaire, enseignant la
littérature anglaise, solitaire car vivant son homosexualité clandestinement.
Autour de lui, il voit de jeunes gens engagés être arrêtés et disparaître. Il
accepte d’aider l’un d’eux, par fraternité plus que par engagement politique,
et peut-être aussi pour rompre la lassitude et la solitude qui le rongent. S’il
n’entre pas réellement dans la lutte militante, il vient en aide, se lie à des
militants et par la même résiste, en ne restant pas indifférent. Mais
Saccomanno ne fait pas de lui un héros, loin s’en faut : en faisant vivre
à Gomez une aventure avec un policier brutal servant le régime dictatorial, il
construit un personnage complexe, rempli de contradictions. L’auteur confronte
ainsi l’intimité à l’histoire, à une période où se posait pour chacun la
question de la peur, de la culpabilité, de la survie et de la
résistance.
Conjurer l’absence par l’écriture
Au-delà de l’action, le professeur Gomez raconte, ce qui est un autre mode de
résistance qui lui fait dépasser sa condition de témoin impuissant. Alors qu’il
enquête sur les disparus de son entourage, il écrit un essai sur l’absence,
comme pour tenter de retrouver du sens dans le chaos. Mais il est aussi le
narrateur du roman qui revient sur ces années de terreur :
« Maintenant, quand je raconte, je me demande : qui parle. Je parle à
la place des morts. Mais alors quelle est ma voix. Je suis un chœur me
dis-je. » J’imagine Saccomanno comme un double de Gomez, et ce roman,
cette réflexion sur l’absence comme une dénonciation de ce qui s’est passé en
Argentine et un hommage aux desaparecidos à
qui il redonne une voix. Une entreprise littéraire comme une leçon
d’humanité...
Guillermo Saccomanno (à gauche) au Salon du livre 2014 sur le stand du CNL |