Trois Croix est un roman écrit
par l’écrivain italien Federigo Tozzi, qui fut publié en 1918. Il raconte l’histoire
de trois frères vivant à Sienne et tentant désespérément de cacher la faillite
imminente de leur librairie à leur entourage. L’œuvre de Federigo Tozzi est
visiblement peu traduite et éditée en France (ici par l’éditeur toulousain L’Ether
Vague), ou du moins si elle le fut, plusieurs titres sont aujourd’hui
indisponibles. Ce roman (trouvé à la bibliothèque) m’a en tout cas fait une
forte impression...
Impressions multiples
Quand j’ai commencé à lire Trois Croix, j’ai trouvé ça très drôle et extravagant et c’est
en ces termes que j’en ai parlé à Gessica
Franco Carlevero qui me l’avait conseillé. Son point de vue sur le
texte différait un peu du mien, elle y voyait davantage une œuvre teintée de
mélancolie, une représentation naturaliste du monde décrivant la complexité de
la nature humaine. Je me suis alors interrogée sur cette divergence d’avis et
en même temps, mon regard changeait au fur et à mesure que l’histoire avançait
et que la situation des personnages devenait de plus en plus désespérée. En l’achevant,
j’étais convaincue de la dimension tragique du roman. Mais enfin, ce hiatus entre
ce constat et mon impression première me taraudait.
« Les choses drôles sont parfois les plus profondes »
Et ce matin, j’ai entendu dans l’émission de radio « Remède
à la mélancolie » Jean-Michel Ribes déclarer que « les choses drôles
sont parfois les plus profondes ». Cette phrase lumineuse m’a subitement
éclairée ! Ce qui est absolument réussi, drôle et réjouissant dans ce
roman, ce sont ces passages où les personnages, en proie à la panique ou au
désespoir, manifestent des sentiments et des élans contraires, s’élançant dans
l’urgence et revenant subitement sur leurs pas, indécis et perdus ; ou
quand sur le coup de la colère, ils décident d’agir avec la plus grande fermeté,
mais ne ressentent plus l’instant d’après que tendresse et affection... Le personnage
qui incarne le mieux cette nature humaine absurde et excessive, totalement
contradictoire et empreinte d’une infinie tendresse, est celui de Niccolò. Dans
le passage qui suit, il tente de réconforter son frère Giulio : « “Écoute
Giulio, ne t’afflige pas ainsi ! Je ne peux pas supporter ça de ta part.
Regarde comme je suis, moi. Regarde : mes mains ne tremblent même pas !”
Il tendit le bras, mais sa main tremblait si fort qu’il la retira
aussitôt. » Le personnage de Giulio qui sait qu’il court à sa perte est
plus tragique, alors que celui d’Enrico, antipathique, incarne la bêtise. Il y
a une tonalité beckettienne dans les dialogues de sourds entre les trois
frères, à la fois drôles car excessifs et tendres, mais aussi profonds car révélant
l’étrangeté des rapports, la solitude de chacun et le soudain dénuement dans
lequel ils se retrouvent.
Il y aurait tant à dire encore sur ce beau roman, mais c’était
cette question de l’humour et de la profondeur qui me taraudait.
(Amateurs de littérature italienne, le site La Bibliothèque italienne dont s'occupe Gessica Franco-Carlevero devrait vous plaire.)