Avec Les Evénements, Jean Rolin raconte
la déambulation d’un homme dans une France en pleine guerre civile.
Étrange lecture, que j’ai failli lâcher en cours, tant au début l’impression
que l’auteur ne traitait pas son sujet m’a étonnée. J’avais cru comprendre que
le livre parlait de l’avènement d’un fascisme islamiste. Or, ce n’est
pas le sujet. On est bien dans une sorte de roman de guerre et
d’anticipation, mais les forces en présence sont nombreuses : l’armée
régulière liée au gouvernement (réfugié à Noirmoutier), la FINUF (Force
d’interposition des Nations Unies en France), le parti des Unitaires
(« Zuzus »), le Hezb (« parti islamiste dit modéré »), des
milices d’extrême droite, une « coalition de mouvements d’extrême
gauche », un groupe de djihadistes (AQBRI), sans compter les nombreuses
milices locales. En fait, c’est davantage la survie d’un
homme dans un pays en guerre qui intéresse Jean Rolin dans Les Événements, plutôt que les enjeux de
pouvoir.
Paysages de guerre
Cette situation chaotique n’est donc jamais contextualisée géopolitiquement
par Jean Rolin, de sorte qu’elle reste un décor traversé par un personnage dont
le regard est essentiellement dirigé vers les paysages qui l’entourent. Guerre
civile et paysagisme... après l’étonnement et la perplexité, s’ensuit
finalement le plaisir de parcourir avec le narrateur les routes sur lesquelles
il sillonne le pays en traçant méticuleusement une cartographie mentale de
son voyage, sensorielle et poétique. Dans Les Événements, d’étonnants tableaux défilent, constitués de
paysages vides et silencieux, portant les marques du passage de la guerre,
perçus tour à tour selon un point de vue journalistique, scientifique ou
esthétique. On est alors vraiment dans le récit de voyage. Et finalement
cette nonchalance du personnage est peut-être une manière de tenir à distance
le danger.
Marseille au cœur du roman
En tant qu’habitante de Marseille, j’ai évidemment été
sensible aux 50 dernières pages du roman dont l’action se situe dans la
« poche » où se concentrent les combats les plus intenses :
« le territoire compris entre les quartiers Nord de Marseille, l’étang de
Berre et le massif de l’Estaque était à ce moment-là l’un des plus disputés de
tout le pays, l’un de ceux qui voyaient s’agiter et se combattre le plus de factions
armées, tour à tour alliées ou ennemis ». Malgré toute mon admiration pour
cet écrivain, j’ai été déçue de constater qu’il avait cédé à la facilité de
faire du 15e arrondissement le foyer des djihadistes, renforçant le cliché
de la violence des quartiers Nord. En revanche, il était plus audacieux et
perspicace de faire des Français des candidats à l’émigration clandestine au
départ des calanques de la Côte Bleue, et ce malgré la défiance des pays
voisins à l’égard des réfugiés français. Un passage qui résonne fort
actuellement.
Jean Rolin, ce styliste...
Les Evénements est
un roman surprenant à bien des égards, mais il est sans aucun doute l’œuvre
d’un vrai styliste, au ton unique, mêlant une ironie savoureuse à un
goût prononcé pour l’absurde, qui pour le coup, colle parfaitement au sujet.