Accéder au contenu principal

Après le silence, Didier Castino

Et l'envie me reprend d'écrire pour ce blog. Pourquoi sur ce livre plutôt qu'un autre, je ne sais pas bien... Si ce n'est que je l'ai beaucoup aimé. Après le silence de Didier Castino (éditions Liana Levi) parle des dialogues qu'on entretient avec les morts, mais aussi des silences qui les entourent. Un roman qu'on aurait envie de mettre entre certaines mains. Mais ce serait peut-être difficile. Car il y a des livres vers lesquels il faut aller seul(e). Alors avec ce billet, je triche un peu, mais avec les meilleures intentions.

Après le silence de Didier Castino

Récit de la condition ouvrière

Dans Après le silence, un fils raconte la vie et la mort de son père, ouvrier aux Fonderies et Aciéries du Midi. Pour ce faire, il se glisse dans les mots qu'aurait pu prononcer ce dernier, emprunte sa voix pour décrire la condition ouvrière, « le long épuisement des corps donnés aux machines ». Le père, Louis Catella, a passé la majeure partie du temps qui lui était imparti sur terre à fabriquer d'énormes pièces d'acier. Il fut un homme aliéné par son travail. Et pourtant aussi un homme engagé, un délégué syndical aux croyances politiques assumées, puisqu'il était communiste. À la lecture du roman de Didier Castino, on comprend qu'en 68 les conditions de travail des ouvriers rendirent leur lutte nécessaire et urgente. Et que se forger une conscience politique consistait à essayer de faire bouger les lignes en s'appropriant un nouveau langage. Les mots du père nous disent tout ça, en s'adressant au fils, qui est son interlocuteur en même temps que son porte-voix.

Hiatus

Mais un jour, le père meurt dans un accident de travail à l'usine, comme fréquemment à l'époque. Pourtant, son récit continue. Il raconte le deuil des siens (le fils avait alors 7 ans), leurs réactions à sa mort, les figures paternelles qui l'ont remplacé. L’artifice narratif semble tenir… puis s’effondre comme un château de cartes. Les voix du père et du fils s'entrechoquent et finalement le fils reprend la parole. Un hiatus est apparu : ce sont les mots du fils qu'on a entendus, un ouvrier ne se serait pas exprimé ainsi. Le dialogue va continuer, mais le ton va changer.

Se confronter pour mieux s'émanciper

Le fils va reprendre en main la narration dans une double tentative d'émancipation. Tout d'abord pour sortir de « l'hommage unanime » porté par le récit familial et pour retrouver l'homme derrière la légende. Ensuite parce que les silences et les non-dits qui ont suivi la mort de son père ont forcé le petit garçon qu'il fut à combler le vide avec son imagination. De sorte qu'il a vécu auprès de cette figure tutélaire à laquelle il a longtemps pensé devoir rendre des comptes. Dans la deuxième partie d'Après le silence, le dialogue tourne à la confrontation. Le fils a besoin d'exprimer sa colère pour s'assurer que ce père "toujours-là-même-mort" ne réagira pas, qu'il est bien mort. Courageuse entreprise d'exorcisme... Nécessaire pour permettre au fils de rendre hommage à son père avec ses propres mots et d'accepter finalement plus sereinement d'être dépositaire d'un certain héritage culturel.  

À chacun sa place...

Après le silence est un roman qui questionne ce lien qui existe entre les morts et les vivants, le paradoxe de la présence dans l'absence. Y est dévoilée toute la charge fictionnelle que génère un deuil et de quel poids elle peut peser sur les êtres. Didier Castino a écrit un livre apaisant car raisonnable. Qui rend sa place à chacun et tient à distance la folie. C'est un livre précieux.