J’ai découvert La machine est ton seigneur et ton
maître (Agone, 2015) en allant écouter à
l’Alcazar une conférence de Celia Izoard, traductrice et coauteur du
livre. Grand bien m’en a pris.
Paru dans la collection Cent mille signes "conçue pour
redonner ses lettres de noblesse à la brochure, au livret"
|
Foxconn à Shenzhen, la ville-usine
Comme sa couverture l’indique, il est question dans La
machine est ton seigneur et ton maître des conditions de travail et de vie
des ouvriers des usines Foxconn, en Chine. Cette multinationale taïwanaise
fabrique la moitié du matériel informatique consommé dans le monde. Elle
emploie un million de personnes, dont 350 000 ouvriers sur le seul site de
Shenzhen Longhua, où ces derniers travaillent 60 heures hebdomadaires, sont
logés dans des dortoirs, réprimés, et asservis par le travail à la chaîne.
Beaucoup connaissent probablement déjà Foxconn. Je dois avouer que j’ai
découvert son existence avec le livre et depuis je me questionne sur son
invisibilité et sur ce qui la rend possible.
L’ « iSlave » : témoignages et analyses
Le livre regroupe plusieurs types de textes et de points de
vue : le témoignage anonyme de Yang, étudiant ouvrier ; le récit de
l’expérience de Tian Yu, ouvrière migrante ayant réchappé d’une tentative de
suicide, par une chercheuse en sciences sociales nommée Jenny Chan ; des
poèmes de Xu Lizhi, travailleur migrant et poète, suicidé en 2014 ; et
enfin un texte critique de Celia Izoard revenant sur le coût social de cette
industrie et proposant une réflexion sur les mirages de la « robolution »
et la direction prise par les recherches en informatique. L’ensemble a ceci
d’intéressant qu’on y trouve à la fois de la littérature, donc de l’intime
et du vécu, et des textes critiques, donc une analyse plus globale et
experte.
Le Géant invisible
C’est la question de
l’invisibilité d’un géant comme Foxconn qui m’a le plus
surprise à la lecture de La machine est ton seigneur et ton maître. Deux
choses l’expliquent, principalement : le déplacement de la
production du matériel informatique en Chine, et
la mythologie que nous vendent certaines entreprises californiennes
(la figure du génie insupportable mais visionnaire, les promesses d’innovation,
de créativité, de coolitude, etc.). Alors ce petit livre, c’est un peu la
douche froide, évidemment.
Élargir son champ de vision
Une autre vertu du livre La machine est ton seigneur et ton maître est de briser la vision
monolithique qu’on peut avoir de la Chine si on ne connaît pas
bien le pays. On apprend que des chercheurs et des militants se battent,
viennent en aide à des travailleurs et conquièrent certains droits ; que
c’est la course à la croissance entre les différentes provinces du pays qui
favorise la compromission des hommes politiques auprès des industriels ;
que la majorité des ouvriers de Foxconn sont issus d’importants mouvements
migratoires internes provenant des campagnes. En résumé, que ce pays forme
une société avec laquelle on pourrait interagir différemment, car
elle n’a pas pour seule vocation d’être employée dans « l’atelier du
monde ».