Je voudrais bien me souvenir de ce spectacle de David Lescot
que j’ai vu la semaine dernière à la 3e Biennale des Écritures
du Réel (2 au 26 mars) à Marseille, car il apporte des éléments de
réponse à des questions importantes : quelle forme littéraire peut
prendre le souvenir ? Quelle forme artistique peut permettre
au témoignage d’advenir ?
Le Témoignage de survivants du ghetto de Varsovie
Car se souvenir, témoigner, ça ne va pas de soi. Loin de
là. Ceux qui restent met en
scène deux comédiens, Antoine Mathieu et Marie Desgranges, qui interprètent les
récits de deux survivants juifs du ghetto de Varsovie, Paul Felenbok et sa
cousine Wlodka Blit-Robertson. À la fin de la représentation, Paul Felenbok,
présent dans la salle, a expliqué ne pas avoir pu raconter son histoire pendant
60 ans. Son témoignage était empêché. La médiation permise par le théâtre
document de David Lescot l’a finalement fait advenir. Car le spectacle est
le résultat du passage du récit des survivants par plusieurs états : des
premiers textes écrits par Paul Felenbok et Wlodka Blit-Robertson à leurs paroles
recueillies pendant les entretiens, à la retranscription de ceux-ci à l’écrit,
à leur interprétation par les comédiens. Et finalement au partage avec le
public.
Un théâtre document
Ceux qui restent raconte l’enfance de Paul Felenbok et
de Wlodka Blit-Robertson dans le ghetto de Varsovie, puis leur évasion et enfin
les directions qu’ont prises leurs vies. Dans l’introduction du livre des
entretiens (éditions Gallimard), David Lescot explique : « (...)
malgré la guerre, malgré la mort qui était partout, l’enfant était resté un
enfant. » En proposant du théâtre document, le metteur en scène a
choisi de rester au plus près de ces souvenirs d’enfance et de l’expérience
vécue. Il n’a donc pas réécrit les entretiens. Mais il a mis en place un
dispositif permettant aux comédiens de restituer les récits dans un ordre
chronologique (chacun racontant tour à tour à l’autre une partie de son
histoire). Constitués d’anecdotes et de moments précis, les témoignages relatent
la vie quotidienne pendant la guerre. Et, portés par les comédiens, ils n’ont
besoin d’aucune argumentation, ils se suffisent à eux-mêmes, ils sont
le document.
Du corps du souvenir à l'objet symbolique
Cependant, Ceux qui restent ne constitue évidemment pas un document à l’état brut. Les comédiens sont les médiateurs des témoignages et le public assiste à un spectacle. Les récits passent par des corps intermédiaires, qui restituent aux souvenirs toute leur charge émotionnelle et leur caractère fragmentaire, hésitant, vibrant. Car le souvenir est lié aux émotions, à des moments de joie (les retrouvailles du personnage avec un parent) ou de peur (la perte d’un document capable de sauver la vie du personnage)... David Lescot donne une forme littéraire et théâtrale au souvenir pour rendre compte de la violence du choc de l'individu avec l'histoire. En cela, ces témoignages se distinguent des démarches historiques et commémoratives qui n'avaient pas permis à Paul Felenbok de livrer son récit de la Shoah. Ils s'en distinguent et agissent différemment : après la représentation, David Lescot a parlé de son spectacle comme d'un objet symbolique. Et en effet, sa création formule les crimes du passé, les fait apparaître sur scène, et permet à la catharsis d'opérer.Paul Felenbok et David Lescot répondant aux questions du public après la représentation |