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Le Jour d'avant, de Sorj Chalandon : une intrigue rocambolesque sur fond de catastrophe minière

Le Jour d’avant de Sorj Chalandon m’a désarçonnée. L’écrivain y aborde indirectement la catastrophe minière de Liévin, survenue le 27 décembre 1974, qui fit 42 victimes, mortes brûlées et étouffées par un coup de grisou dans un sillon. La sécurité était défaillante, mais à part un lampiste, aucun responsable ne fut inquiété. Cette injustice est le point de départ à partir duquel Sorj Chalandon construit son histoire. En filigrane, au-delà de la création romanesque, le texte nous questionne : quelle mémoire pour ces victimes et plus largement pour les ouvriers des différentes époques du charbonnage ? Comment a résonné un drame national de cette ampleur ? Qu’en reste-t-il 50 ans plus tard ? 


Michel Delanet, victime collatérale du charbonnage

C’est une intrigue assez rocambolesque que met en scène Sorj Chalandon dans Le Jour d’avant. Les amateurs de retournements de situation spectaculaires seront comblés. Car sur la toile de fond réelle évoquée plus haut, l’écrivain brode une histoire particulière, celle d’un homme, Michel Delanet, ayant vécu depuis la catastrophe dans une prison mentale. Et voici pourquoi je disais plus haut que cette lecture m’avait désarçonnée : alors que je pensais lire un livre sur les mineurs de la fosse Saint-Amé de Liévin, sur l’organisation du charbonnage, j’ai lu un livre sur un individu désorienté, un livre sur l’univers carcéral, avec de très belles scènes de procès. Dans la première partie du roman, on suit avec inquiétude le parcours de cette « victime collatérale » du charbonnage. Cet homme imprégné d’une tristesse infinie est passé dans la vie comme un funambule, obsédé par la perte de son frère, entouré de fantômes. Cette première partie est assez pénible à lire. Étouffante. Certes de multiples rebondissements nous portent dans la lecture, mais quelle réalité sordide ! Et bon, de toute évidence le personnage n’est pas en bonne santé mentale, mais tout cet aspect-là est flou, jamais nommé, pas traité, il devient au contraire un simple ressort de l’intrigue, la justification d’une duplicité, l’explication d’un geste criminel. 


Le réel relégué

En résumé, Sorj Chalandon a pris le parti d’évoquer la catastrophe minière de Liévin de manière indirecte. Dire que derrière un drame national il existe des trajectoires particulières, c’est important, certes. Mais dans les trois quarts du roman le réel n'est qu'une toile de fond un peu floue, et les circonvolutions romanesques accentuent encore cette impression. C’est un choix esthétique qui m’a un peu déstabilisée. Ceci dit, la fin m’a plu, car Sorj Chalandon convoque tous les acteurs du passé, rassemble tous les mineurs autour du beffroi d’acier. Dans ces dernières pages, le réel est enfin incarné, tangible, présent. Enfin les mineurs émergent des fabulations du personnage principal pour s’incarner dans une mémoire. C’est une apparition comme la littérature sait parfois nous en offrir. Brève, mais très belle. Qui m’a un peu réconciliée avec ce roman. 


Extrait

Mon frère est parti sans ouvrir les yeux, le 22 janvier 1975, vingt-six jours après ses 42 camarades.
Jamais plus, le bruit de la Gulf à l'heure du déjeuner. Le tintement des pièces dans le vide-poche de l'entrée, sa taillette claquée sur le bois de la table. Le sourire de mon frère, sortant son pain d'alouette de sa musette. Sa façon de se laisser tomber sur le canapé du salon, tapant le coussin de la main pour me dire de le rejoindre. Sa voix, ses yeux, ses belles histoires de frère. Ses promesses pour le dimanche suivant. Prendre sa vieille Renault 8 et aller casser la croûte au pied des terrils. Moi en short, torse nu, fouillant les déchets de la mine avec ma pelle d'enfant et lui me guidant de fossile en fossile.

 

Auteur : Sorj Chalandon
Édition : Grasset, 2017