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L'Empreinte, d'Alexandria Marzano-Lesnevich : une tentative d'épuisement des faits

L’Empreinte d’Alexandria Marzano-Lesnevich est un livre qui a demandé à son autrice 9 ans de labeur et de recherches. Le qualifier est d’ailleurs compliqué : s’agit-il d’une enquête ? D’un reportage ? D’un récit ? Une chose est sure, L’Empreinte est à classer dans le genre passionnant (et très américain) de la non-fiction narrative. 

Le livre raconte la collision de l’histoire d’Alexandria Marzano-Lesnovich avec celle des membres d’une affaire criminelle des années 90 : en Louisiane, Ricky Langley, un jeune adulte pédophile tua par strangulation Jeremy Guillory, un garçon de 6 ans. Un premier procès le condamna à la peine de mort. L’autrice découvrit l’affaire lors d’un stage dans un cabinet d’avocat chargé de défendre l’accusé. Elle qui pensait ses convictions concernant l’abolition de la peine de mort inébranlables se surprit à souhaiter la mort de Ricky Langley, alors même que la mère de la victime, sans avoir pardonné au meurtrier, s’opposait à son exécution. C’est qu’Alexandria Marzano-Lesnovich avait elle-même été abusée sexuellement par son grand-père alors qu’elle était enfant. Après cet épisode, l’autrice décida d’abandonner le droit et de se consacrer à la littérature pour affronter ce passé qui ne passait pas.

L’Empreinte est un livre dense, méticuleux, où les différentes versions des faits sont exposées par Alexandria Marzano-Lesnovich, où de longues scènes de procès informent précisément le lecteur sur ses enjeux (le crime était-il prémédité ? Ricky Langley était-il malade mentalement ou en pleine possession de ses capacités intellectuelles ? Les drames qui ont marqué son enfance sont-ils des circonstances atténuantes ? Et que penser du fait qu’il a voulu se faire aider, mais n’a pas été entendu ?...). Au-delà de l’histoire retenue par le tribunal, l’autrice s’appuie sur des articles de presse, tente de reconstituer le passé en faisant œuvre de littérature, c’est-à-dire en introduisant dans le récit des émotions et des souvenirs. En effet, parallèlement à cette affaire, un deuxième fil narratif est déroulé par l’autrice : elle revient ainsi sur les crimes commis par son grand-père pédophile et son propre traumatisme, qui restèrent tabous au sein de sa famille. Aucun procès ne permit en effet une reconnaissance du crime commis ou une compréhension des actes de son grand-père. Si bien que dans sa démarche, Alexandria Marzano-Lesnovichva imbrique les deux histoires pour tenter d’éclairer chacune d’elle. 

Ce faisant, elle brise le silence, s’en libère par l’exercice de l’écriture. Alors que sa famille a toujours tu toute souffrance, ne s’est jamais retournée vers la passé, Alexandria Marzano-Lesnovich fait le choix courageux de déterrer les faits, d’assembler les pièces du puzzle. Ainsi, elle libère son corps de ce poids si pesant. Elle « extrait » son histoire et lui donne une forme, celle de ce livre. En exagérant un peu, on pourrait comparer cette pratique de l’écriture à une opération d’exorcisme littéraire menant à l’apaisement.

Si L’Empreinte est un livre si « complet » (voire un peu long), c’est que dire la complexité des êtres humains passe par des détours, par des angles de vue variés, par des recoupements et des échos d’un chapitre à l’autre, mais aussi par des retraits et des réticences, qui plus est lorsqu’il s’agit de tenter de comprendre des criminels. Mais l’opération d’ « épuisement » des faits a pour effet de distiller une vérité jusqu’alors inatteignable, celle qui lui permettra de cohabiter avec son passé. Il y a ainsi une progression d’Alexandria Marzano-Lesnovich dans ce récit, un cheminement vers l’empathie (différente du pardon) et la reconnaissance de la nature profondément ambivalente de ces hommes criminels. Un parcours parfois éprouvant à lire, mais qui force l’admiration.

Merci aux éditions Sonatine et à NetGalley France pour cette lecture.