Accéder au contenu principal

Le Monde après nous, de Rumaan Alam : de l'abondance à la catastrophe

Le troisième livre de l'écrivain américain Rumaan Alam explore les ressorts de la peur en situation de catastrophe. Un huit clos palpitant dont l'adaptation pour Netflix devrait voir le jour en 2023.

Et le black-out fut 

C'est l'été. Un  black-out pousse un couple de riches New-Yorkais afro-américains à se réfugier dans la maison de campagne qu'ils ont louée à une famille blanche de l'upper middle class arrivée la veille. La première confrontation est pleine de suspicion et d'appréhension. Mais bientôt cette peur de l'autre va céder la place à une peur bien plus grande : que s'est-il passé à l'extérieur ? Une menace est-elle en cours ? Une catastrophe est-elle en train d'arriver ?

Un roman qui emprunte à la nouvelle

Ce qui caractérise Le Monde après nous (Leave the World Behind), c'est l'écart entre les procédés employés et l'impact émotionnel de ce qui est raconté. En cela, le roman emprunte au genre de la nouvelle. Les procédés narratifs sont simples, mais efficaces : le récit se concentre sur un moment (quarante-huit heures de la vie des personnages) et met rapidement en place un huit clos (la situation de cohabitation subie). Une fois ce cadre posé, Rumaan Alam tisse sa toile ! Petit à petit, la peur s'installe chez les personnages. Elle repose sur l'incertitude totale dans laquelle ils pataugent. L'absence d'informations sur lesquelles s'appuyer pour prendre des décisions les plonge dans la confusion. Pourtant, durant ce bref moment, ces deux jours passés à tout imaginer, s'opère une transition énorme : le passage d'un monde à l'autre, du temps de l'abondance à celui de la catastrophe. Sans pourtant que la frontière entre le monde d'avant et celui d'après soit très nette. À ce propos, le titre français est d'ailleurs plutôt mal choisi, puisque ce que raconte Rumaan Alam, c'est ce processus de transition.

Le mérite de l'ironie

Le plaisir de lecture doit beaucoup à l'ironie mordante de Rumaan Alam. Le déni des personnages,  déconcertants de naïveté, les rend incapables de lucidité. De plus, alors que la situation nécessiterait de bouleverser l'ordre social et les rapports de classe, les personnages restent englués dans leurs préjugés et leur méfiance réciproque. Le suspense repose à la fois sur la quête d'information et sur cet enjeu de la coopération entre les personnages : réussiront-ils à s'unir pour prendre les bonnes décisions ? L'auteur ironise avec délectation sur leurs difficultés.

Exploration de notre vulnérabilité

S'appuyant sur un sentiment ambiant de précarité environnementale, Rumaan Alam explore les manifestations de notre vulnérabilité, et c’est passionnant. On devine aussi que nos réactions durant la pandémie l'ont inspiré. Le miroir tendu n'est pas flatteur, mais il porte à réfléchir et... à nous préparer ?! 😱

Extrait

La maison était en briques, peintes en blanc. Il y avait quelque chose de séduisant dans ce rouge ainsi transformé. La construction semblait à la fois ancienne et neuve. Solide et légère. C'était peut-être un désir fondamentalement américain, ou juste un besoin contemporain, de vouloir, une maison, un livre, une paire de chaussures qui incarnent ces contradictions.
Amanda avait trouvé l'endroit sur Airbnb. « L'évasion ultime », proclamait l'annonce. Elle éprouvait du respect pour le slogan sympa de la description. Entrez dans notre splendide maison et laissez le monde derrière vous. Elle avait passé l'ordinateur, suffisamment chaud pour faire naître des tumeurs dans son ventre, à Clay qui avait hoché la tête et prononcé quelques paroles vagues.

Auteur : Rumaan Alam
Traducteur : Jean Esch
Éditeur : Seuil, 2022