Le premier livre de Thomas Mullen, paru en 2006 aux États-Unis, vient de sortir en France. La Dernière Ville sur terre est un roman historique dont l’action se passe en 1918, au moment de l’épidémie de grippe espagnole, de la contestation antimilitariste et des conflits sociaux dans l’industrie du bois américaine.
Commonwealth, un projet socialiste
Pour raconter l’histoire de la ville imaginaire de Commonwealth, Thomas
Mullen s’est inspiré de localités du nord-ouest des États-Unis, qui, non
touchées par la grippe espagnole, mirent en place une quarantaine
inversée pour empêcher l’épidémie de les atteindre. C’est le point de
départ de La Dernière Ville sur terre : des gardes désignés pour protéger la ville sont
confrontés à un soldat perdu dans la forêt qui tente de forcer le
passage. Mais la ville fictive emprunte une autre particularité à certaines communautés des forêts lointaines de l’État de Washington, à cette époque : un projet politique égalitaire a motivé sa création. Charles Worthy, issu d’une famille d’industriels du bois, a souhaité rompre avec la brutalité dont il était témoin en ouvrant sa propre scierie, accompagné de sa femme Rebecca et de leurs enfants, dont Philip, le personnage principal du roman. Les ouvriers qui les ont rejoints ont par le passé été confrontés aux très dures conditions de travail de l’époque et aux répressions sévères des grèves. C’est le cas du personnage de Graham, victime de l’attaque d’Everett en 1916, un autre événement historique introduit par Thomas Mullen dans son roman, durant lequel des membres du syndicat des Industrial Workers of the World (les Wobblies) furent attaqués par des milices paramilitaires. Graham et ses semblables font donc figure de survivants pour qui Commonwealth représente un refuge et un idéal.
À l’arrière de la Grande Guerre
La Dernière Ville sur terre a aussi pour toile de fond la mobilisation américaine durant la Grande Guerre. Thomas Mullen s’intéresse aux répercussions de la participation des États-Unis à la guerre : la propagande mise en place par le gouvernement de Woodrow Wilson, le muselage des voix pacifistes, l’action de la Ligue de protection de l’Amérique (LPA), une association patriotique dont les membres étaient chargés par le ministère de la Justice de s’assurer qu’aucun insoumis n’échappait à la conscription. Ainsi, au début du roman, le personnage de Rebecca affiche son opposition à la mise en quarantaine qui l’empêcherait de rejoindre les réunions du Parti des femmes pour la paix à Seattle. Puis, lorsque la relation entre les habitants de Commonwealth et ceux de la ville voisine, Timber Falls, commence à se dégrader, la question de la non-inscription des ouvriers de Commonwealth sur les listes de conscription devient centrale. Enfin, les deux soldats qui tenteront de s’introduire dans la ville seront accusés d’être des espions étrangers. Autant d'illustrations des tensions existant entre opposants et partisans de la guerre.
Une épidémie de peur
Dilemme moral
La question morale est traitée sous de multiples angles par Thomas Mullen dans La Dernière Ville sur terre. Car si la grande histoire façonne des situations compliquées pour les hommes, il leur incombe malgré tout de prendre des décisions. Le personnage de Charles Worthy, en voulant défendre coûte que coûte Commonwealth des dangers extérieurs, consentira à des mesures radicales allant à l’encontre des valeurs qui avaient rassemblé les membres de la communauté. Son fils de 16 ans, Philip, refusera pour sa part de placer les
valeurs de la ville au-dessus de la peine de mort. Il incarne ainsi le regard neuf de la jeunesse, capable de réévaluer les positions des aînés à la lumière des nouveaux événements.