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Hollywood ne répond plus, d'Olivier Rajchman : dans les rets de la légende

Hollywood ne répond plus, du journaliste et historien du cinéma Olivier Rajchman, est un livre hybride. Cet essai historique emprunte aux genres de la chronique people et de la critique de film. Son sous-titre, Le Crépuscule de l'âge d'or, annonce son ambition : faire le récit de la fin du Vieil Hollywood, à travers le prisme des difficultés rencontrées par la 20th Century Fox au tournant des années 60.

Pour aborder ce sujet, Olivier Rajchman a choisi de raconter les tournages de trois films produits par la Fox à cette période : Something's got to give (1962) de George Cukor, Le Jour le plus long (1962) de Darryl Zanuck, et Cléopâtre (1963) de Joseph Mankiewicz. Le premier est resté inachevé, interrompu par la mort de Marilyn Monroe. Le second, produit par l'ancien patron omnipotent de la Fox, fut le premier film de guerre consacré au débarquement américain en Normandie. Quant au troisième, il est considéré par Olivier Rajchman comme le dernier grand chantier du Vieil Hollywood. 

 

Photo du livre Hollywood ne répond plus

Cléopâtre ou la mauvaise réputation

C’est principalement à Cléopâtre que l'auteur d'Hollywood ne répond plus s'intéresse. Le film est un dyptique qui raconte en quatre heures environ les relations diplomatiques et amoureuses de Cléopâtre (interprétée par Elisabeth Taylor) avec Jules César (Rex Harrison) et Marc-Antoine (Richard Burton). Les décors et costumes incroyables font certes de ce film un grand spectacle, mais l'intention de Mankiewicz était de faire le portrait de la grande stratège que fut la dernière reine d'Égypte, comme le résume Olivier Rajchman : « avec Cléopâtre, plus encore que dans ses autres films, le spectacle s'était mis au service de l'histoire, d'un récit. »

Le tournage de Cléopâtre a duré deux ans et s'est déplacé des studios anglais de Pinewood à Cinecittà à Rome, en passant par Ischia dans la baie de Naples, Almería en Andalousie, ou Alexandrie en Égypte. Aujourd'hui considéré comme un des derniers classiques du fameux âge d'or, les pires craintes le concernant circulèrent à l'époque et on parla même d'une malédiction attachée au film, tant les difficultés s'accumulèrent sur le tournage. Olivier Rajchman revient sur cette mauvaise réputation et corrige un malentendu : malgré les 44 millions de dollars dépensés pour réaliser Cléopâtre, conséquence de la gestion calamiteuse du tournage par la Fox, le coût fut amorti en deux ans et son succès commercial démentit les prédictions des oiseaux de mauvais augure (au premier rang desquels figurait Darryl Zanuck, redevenu en 1962 patron de la Fox, au moment de l'éviction de Spyros Skouras, tenu pour responsable des difficultés financières du studio).

Quelque chose devait lâcher

Mais même si les efforts déployés furent finalement récompensés (notamment par 4 Oscars), l'expérience du tournage de Cléopâtre marqua durablement Joseph Mankiewicz. Ayant été spolié du montage final par un Darry Zanuck qui s'était arrogé le poste de directeur de production de Cléopâtre une fois son propre film terminé, Mankiewicz refusa longtemps qu'on lui attribue la paternité du film, comme le confirme la fille du cinéaste dans la préface du livre : « Pendant ma jeunesse, Cléopâtre était le film dont il valait mieux ne pas prononcer le nom. » La relation conflictuelle de Mankiewicz avec la Fox était à l'image de ce qui caractérisa la fin de l'âge d'or des studios : petit à petit, metteurs en scène et acteurs prirent leur indépendance par rapport aux directeurs de production tout puissants (surnommés les « moguls »). Olivier Rajchman raconte ainsi qu'Elisabeth Taylor et Richard Burton refusèrent de signer des contrats d'exclusivité pour plusieurs films avec la Fox. Marilyn Monroe s'affranchit de la tutelle du studio de 1954 à 1956, durant son expérience new-yorkaise, et créa les Marilyn Monroe Productions qui lui permirent de coproduire certains de ses films. Mankiewicz créa dès 1951 Figaro, sa propre société de production.

Une constellation de stars

Par ailleurs, l'auteur explique les difficultés financières de la Fox et son absence de succès commerciaux par la frilosité artistique du studio dans les années 50 : « Entre divertissement et satires sociales asceptisées, la Fox ne jouait plus le rôle d'éveilleur de consciences qui avait été le sien dix ans plus tôt. » On aurait peut-être aimé en savoir plus sur le fameux âge d'or pour prendre la mesure des changements qui s'opérèrent lors du déclin. Mais ce n'est pas le propos d'Olivier Rajchman qui nous livre une constellation de portraits de stars et de cinéastes plutôt qu'un essai historique stricto sensu. C'est en reliant les histoires individuelles qu'il entreprend de raconter ce moment de fragilité de l'écosystème hollywoodien. La surchauffe du studio de la Fox avait en effet son pendant à l'échelle individuelle : jalousies, rivalités, égos contrariés, passions amoureuses, manipulations et conspiration sont quelques-unes des manifestations des passions humaines que l'auteur d'Hollywood ne répond plus se plaît à relater. Le lecteur circule d'un plateau à l'autre et suit les péripéties par lesquelles sont passés les protagonistes de chaque film : la liaison d'Elisabeth Taylor et Richard Burton, au début secrète, puis largement médiatisée. Le pied de nez au studio de Marilyn Monroe lors de l'épisode de sa fuite new-yorkaise pour la cérémonie d'anniversaire de Kennedy. Ou comment Darryl Zanuck, qui se positionnait trop systématiquement en pygmalion, recruta l'actrice Irina Demick pour Le Jour le plus long en même temps qu'il choisit d'en faire sa maîtresse.

Dans l'ombre de l'avant-MeToo

Cette approche sensationnelle et people de l'histoire du cinéma laisse des impressions ambivalentes. Les histoires particulières nous éclairent certes sur le système. Mais les mœurs au sein de l'écosystème hollywoodien dans les années 60 auraient mérité d'être analysées à la lumière des évolutions morales contemporaines. En effet, les entreprises de séduction menées par les hommes de pouvoir sur le plateau de Cléopâtre sont évoquées avec une complaisance dérangeante dans le livre d'Olivier Rajchman : « Bien qu'agissant de manière discrète, le cinéaste avait l'un des plus beaux tableaux de chasse de la profession » (à propos de Mankiewicz). Ou, à propos du comportement inapproprié de Rex Harrison : « le moins réservé qui soit lorsqu'il s'agissait de lutiner les figurantes représentant un cinq-à-sept de choix. » On aurait aimé lire une description plus critique de ces pratiques. À la décharge d'Olivier Rajchman, le livre a paru en mai 2017, six mois avant que le début du mouvement MeToo ne permette d'opérer un changement de paradigme concernant la perception des rapports de domination et de subordination dans les relations professionnelles.

Une tournure romanesque

Par ailleurs, une des singularités d'Hollywood ne répond plus est que tout en s'appuyant sur une documentation sérieuse (le journal de tournage de Mankiewicz, mais aussi des articles de presse, des lettres ou encore une riche bibliographie publiée en fin d'ouvrage), le livre possède de fortes intonations romanesques. Olivier Rajchman met en scène les personnes évoquées de manière tout à fait décomplexée. Lui-même parle de la « recréation d'une époque ainsi que [de] l'évocation de femmes et d'hommes dont il a souhaité qu'elles soient, sinon les plus objectives, du moins les plus honnêtes possibles ». Le parti pris de l'approche romanesque est donc assumé, même s'il est parfois périlleux et discutable, comme lorsque l'auteur associe la mort de Marilyn Monroe à un sacrifice : « l'actrice Marilyn Monroe avait mis fin à ses jours. Il le fallait. Pour la tranquillité des Kennedy (...). Pour la bonne marche d'une Fox par trop ébranlée ». Si l'on ne peut reprocher à l'historien de combler les trous avec des hypothèses, celle d'un suicide sacrificiel est pour le moins douteuse.

Dans les rets de la légende hollywoodienne

Ainsi, le propos du livre, bien que captivant et porté par une intention pédagogique louable, semble parfois s'emballer sous l'effet d'une verve romanesque débridée. Ce biais témoigne aussi de la difficulté de s'extraire de la fascination exercée par Hollywood. En effet, dans le livre d'Olivier Rajchman, la légende hollywoodienne — et ce qu'elle charrie de fiction — est certes racontée, commentée, expliquée, analysée, mais est-elle suffisamment critiquée ? On peut se le demander, à une époque où les yeux du lecteur cinéphile sont désormais décillés, et prêts à recevoir une histoire du cinéma réaliste.

Extrait

La vallée andalouse était froide et humide, triste comme la mort. Des feux avait été allumés, embrassant les bûchers géants qui consumaient les corps. Ceux des soldats de Pompée, décimés P par les troupes de César. Et si Cléopâtre était un poème funèbre ? C'est ce que se dit Joe Mankiewicz, en tirant sur sa pipe et en se rappelant la dernière scène du film ; la reine d'Égypte y était allongée, sans vie, tel Alexandre dans son mausolée, vêtue du costume d'apparat brodé d'or avec lequel elle était entrée dans Rome. En même temps qu’il signait une fin shakespearienne, un travelling arrière emportait la souverraine dans le néant.
À bien y regarder, ce péplum ne parlait que du moment où les morts s’emparent des vivants. Qu’il s’agisse des prédécesseurs glorieux dont les corps ont été embaumés mais qui continuent post mortem à dicter leurs volontés ; de leurs bijoux que l’on se transmet comme autant de signes de dépendance, de tromperie et de divinité ; de bustes en marbre dont les yeux privés d’expression rassemblent, dans une même communion, héros du passé et êtres de chair et de sang.

 


Auteur : Olivier Rachjman
Maison d'édition (grand format) : Baker Street, 2017
Maison d'édition (petit format) : Perrin, 2022