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Le Dahlia noir, de James Ellroy : une réception difficile en 2024

True crime et reconstitution romanesque... des ingrédients a priori engageants. Pourtant la lecture du Dahlia noir est pénible. Tentons toutefois d'analyser les choix de narration de James Ellroy à la lumière de sa biographie et de sa méthode de travail, toutes deux singulières.

Photo de la couverture du livre Le Dahlia noir, de James Ellroy

Les vertus de la reconstitution romanesque

Tout d’abord, reconnaissons au roman le mérite de proposer une hypothèse dans l’affaire du Dahlia noir. L’auteur a imaginé une résolution possible de l’enquête sur l’horrible assassinat d’Elisabeth Short en 1947, à Los Angeles. Une version fictive des faits qui a le pouvoir d’éloigner un peu l’angoisse qui nous saisit à la pensée de l’inimaginable barbarie dont fut victime cette femme. La forme de la reconstitution romanesque éloigne l’horreur informe et calme l’esprit effrayé par l’impunité d’un tel crime.

L’autre qualité à mentionner est d’avoir inclus dans ce déroulé possible des événements les bouleversements urbanistiques qui eurent lieu à Los Angeles en 1949. En élargissant le champ, l’auteur intègre ainsi son roman à une époque et ajoute des arguments crédibles à son hypothèse.

 

500 pages avec un flic nécrophile

Mais Le Dahlia noir est un livre brutal. Ellroy attribue au flic qui mène l’enquête une attirance érotique et  macabre pour Betty Short, de sorte que même morte, cette dernière reste un objet de désir, la prisonnière d’une obsession dont on ne comprend pas la pertinence narrative, si ce n’est qu’elle maintient le flic sur la brèche. À croire que le féminicide n’était pas un argument suffisant pour alimenter la motivation du flic… C’est épuisant et hideux à lire.

Cependant, dans la postface écrite en 2006 à l'occasion de l'adaptation du livre au cinéma, James Ellroy nous livre des clefs pour tenter de comprendre la caractérisation de ce personnage. Tout d'abord, il affirme que le protagoniste est son double : « Bleichert est moi ». Par ailleurs, il y explique qu’auraient fusionné dans sa psyché la figure de Betty Short et celle de sa mère Geneva Hilliker, elle aussi victime d’un féminicide. Il avait dix ans quand son corps fut retrouvé dans une contre-allée, alors qu’il se débattait avec les symptômes d’un complexe d’Œdipe. Un an plus tard, son père lui offrit un livre sur l’affaire du Dahlia noir. Les deux femmes auraient alors fusionné dans son imaginaire. On se garderait bien d’émettre un avis sur ce phénomène psychologique, d’autant que si l’auteur a éprouvé la nécessité de s’en expliquer vingt ans après la parution du roman, c’est peut-être qu’il n’en avait pas conscience au moment de l’écriture. On souhaite même à James Ellroy que l’exorcisme du traumatisme par l’écriture ait fonctionné, bien sûr. Mais quelle souffrance pour le lecteur ! La transcription romanesque de la confusion vécue par l’auteur est très pénible à lire, avec ou sans cette clef biographique.  

Photo de la dédicace de James Ellroy à sa mère

Toute la place pour les bourreaux

Un autre point problématique est cet étrange parti pris de l’auteur de vivre comme s’il appartenait aux années d’après-guerre (en se tenant éloigné de toute innovation technologique, notamment). Dans ses interviews, il déclare avoir besoin de cette immersion totale pour écrire sur cette époque. Mais visiblement la méthode n’est pas bonne, puisqu’elle l’empêche d’adopter la distance nécessaire à l’analyse critique des faits narrés. Si la société dépeinte dans le roman devait déjà paraître rétrograde aux lecteurs de 1987, à la sortie du livre, qu’en dire en 2024 ?! Les personnages sont racistes, misogynes, brutaux. Des situations d’inceste et de viol conjugal sont narrées sans que jamais les personnages les ayant subis n’en ressentent de souffrance ou d’humiliation. Ellroy, tout englué dans son immersion historique en oublie de les présenter comme les victimes qu’elles étaient pourtant. C’est navrant à lire.

Ajoutez à tout ça une propension à tout décrire dans les moindres détails, et la coupe est pleine. Elle déborde, même !


Extrait de la postface de 2006 

J'ai essayé de construire mon livre sur un juste équilibre entre le sordide et la bonté. Le lecteur décidera de cet équilibre d'une façon dont je ne saurais juger. Je crois que je connais Betty plus complètement aujourd'hui. Je suis convaincu que sa personnalité fait pencher la balance vers la bonté, de façon très marquée. Il y a une disproportion dans le portrait que j'ai fait d'elle. J'ai passé la Betty de fiction au filtre de l'urgence de mes propres désirs. Ces désirs ont bouillonné ef décru au fil des vingt années qui séparent le roman du film.

 

Références bibliographiques 

Auteur : James Ellroy
Traducteur : Freddy Michalski
Titre original : The Black Dahlia
Maison d'édition : Payot & Rivages, 2006